Les principes du communisme libéral (3/6)

3. La propriété sans la propriété

Notre définition de la justice nous amène a définir un modèle économique sans propriété privé. Or il se trouve que c'est le principe de propriété qui est à l'origine de tous les problèmes patents du capitalisme que sont le creusement des inégalités (du fait de tirer bénéfice de ce que l'on possède) et l'impossible gestion des communs (qui, n'étant pas appropriables, donc gratuits, sont systématiquement pillés ou pollués). La conséquence fâcheuse du premier problème, le creusement des inégalités, est l'apparition de rapports de forces venant biaiser le système lui même, en particulier la loi de l'offre et de la demande, qui est pourtant à la base de l'évaluation de la juste rémunération, donc au coeur du système. Celle du second problème est la détérioration du tissu social, de la culture ou de la biosphère.

Nous avons sans doute tout à gagner à adopter un principe de justice plus restrictif, et donc à trouver une alternative à la propriété privée. Mais il ne faudrait pas au passage oublier ce qui justifie la propriété privé et la rend si naturelle pour beaucoup. Si nous voulons que notre système puisse être considéré comme souhaitable dans les conditions définies par John Rawls, qu'il puisse être accepté de manière consensuelle par tous comme étant un système juste, nous devons aussi souscrire aux principes qui sous-tendent la propriété privé.

Nous pouvons ramener la propriété privé à un besoin fondamental qui est la sécurité de la possession.

On estime généralement qu'il est illégitime de se voir réclamer quelque chose que l'on possède, ou encore demander de l'argent pour la simple raison que l'on possède quelque chose. L'idée de propriété est aussi associée à l'attachement affectif. On doit pouvoir faire l'acquisition d'un bien non pas temporairement mais sur une durée indéterminée, aussi longue que souhaitée, et on estime qu'il doit être possible, si on y met le prix, de ne plus jamais être redevable à qui que ce soit ni avoir de comptes à rendre à la suite d'un changement de la valeur de ce bien sur le marché, par exemple. Ceci inclut le don sous toutes ses formes. Enfin on estime avoir le droit de transformer et même de détruire ce bien si on le souhaite.

Mais il y a là un paradoxe, une apparente contradiction entre ce nouveau principe et le précédant, car alors l'acquéreur d'un bien doit à la fois pouvoir s'affranchir de l'évolution du marché et bénéficier ainsi de la sécurité de la possession mais ne pas pouvoir profiter de cet affranchissement et de la différence de valeur qui en résulte, puisque ce serait un enrichissement injuste. Une difficulté annexe est d'estimer le prix d'une location sur une durée infinie de manière cohérente, sans que ce prix ne soit infini.

Mais ce paradoxe n'a pas lieu d'être, car finalement rien n'interdit qu'un tel type d'acquisition puisse avoir lieu sous la forme d'une mise à disposition illimitée dans une société sans propriété. Il est tout a fait envisageable de définir contractuellement, pour une somme donnée, ce type de transaction.

Il est même possible de prévoir, lors de la restitution prématurée du bien, le remboursement d'une partie de la somme perçue à l'origine, en fonction de la durée de la mise à disposition et d'une estimation du cours du prix sur cette durée tenant compte de l'usure apportée, simulant ainsi une "revente". Il est amusant de constater que la valeur de restitution, forcément inférieure au prix d'achat, est paradoxalement plus importante si la valeur du bien a baissé lors de l'occupation, puisqu'alors le "loyer" a été plus bas. Ceci joue le rôle d'une compensation pour le locataire qui est en position de force pour négocier. Pour le comprendre on pourra prendre par exemple le cas de quelqu'un louant une maison : si une autoroute vient à passer au fond du jardin, la personne fournissant la maison a tout intérêt à mettre en oeuvre une telle compensation. Si elle n'avait pas lieu, l'occupant quitterait la maison et le fournisseur serait obligé de la relouer à moins bon prix.

Ainsi toute modification du prix d'un bien affecte celui l'ayant mis sur le marché, et non pas la personne qui le "possède". Pour autant cette modification ne constitue pas en tant que tel une plus-value ou une moins-value, mais simplement une rectification du prix obtenu pour le bien, qui reste positif.

La difficulté d'estimer un prix qui ne soit pas infini quant à elle peut être résolue en tenant compte du vieillissement du produit, par exemple en utilisant des suites géométriques convergentes dont le facteur représente un taux d'usure, ou plus simplement en découpant en tranches de prix égales mais de durée de plus en plus longues la mise à disposition du produit, la dernière tranche correspondant à une durée résiduelle infinie.

Finalement peu importe la façon dont est résolue le problème par les contractants, l'important étant que ce problème soit solvable, et que le besoin d'accéder virtuellement à la propriété (mais sans bénéficier ni de plus-value, ni de moins-value) puisse être satisfait.

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