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Affichage des articles du 2015

Les lois de nécessité survivent-elles aux changements théoriques ?

Le réalisme structural et l'objection de Newman Le réalisme structural prétend répondre au problème du changement théorique en faisant valoir que les relations, sinon le contenu des théories, sont conservées lors des changements théoriques. Ainsi la théorie de Newton est fausse quant à l'ontologie qu'elle postule : il n'y a pas vraiment de forces de gravitation dans la nature. Mais elle est vraie quant aux relations qu'elle décrit par ses lois. Un problème est de savoir en quoi ceci ne revient pas simplement à affirmer que la théorie est empiriquement adéquate : si les équations de la théorie ne doivent être interprétées qu'empiriquement, en quoi fait-on plus que décrire des régularités superficielles dans les phénomènes observables ? Ce problème peut être formalisé sous la forme de ce qu'on appelle l'objection de Newman envers le réalisme structural. A strictement parler, le réalisme structural veut affirmer plus que l'existence de relations ent

Des histoires consistantes à la physique relationnelle

Nous avons vu dans le dernier billet que dans le formalisme des histoires consistantes, adopter un cadre (un découpage discret de l'espace des états du système en propriétés disjointes) permet de restaurer l'usage de la logique classique et des raisonnements contre-factuels, et résout la plupart des paradoxes de la mécanique quantique. Le prix à payer est que tout ceci est toujours relatif à un cadre, qui n'est pas quelque chose qui existe dans la nature mais plutôt une façon conventionnelle de voir le monde parmi d'autres (dans l'absolu, tous les cadres se valent). Il existe une analogie assez forte entre cet aspect et le choix d'un référentiel en relativité restreinte. D'abord, le cadre est lui aussi, sur le plan mathématique, un référentiel dans un espace (l'espace de Hilbert) même si ce dernier n'est pas interprété comme espace physique, mais comme espace des états possibles. Ensuite et surtout, en relativité restreinte, le choix d'un référ

L'interprétation des histoires consistantes de la mécanique quantique

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Je me suis intéressé récemment à l'interprétation des histoires consistantes de la mécanique quantique, et j'avoue avoir été assez convaincu par l'approche. Je vais me contenter, dans ce billet, de proposer une vulgarisation de cette interprétation. L'espace des phases Classiquement on peut se représenter l'état d'un système dans un espace des phases. Il s'agit d'un espace abstrait dont les coordonnées sont les degrés de liberté du système. Si par exemple une particule a une position et une vitesse, on prendra en abscisse sa position et en ordonnée sa vitesse. Chaque point de l'espace de configuration représente donc un état possible du système. Son état actuel est l'un de ces points, et son évolution temporelle peut être représentée par une trajectoire. Dans un espace des phases, on peut représenter une propriété quelconque, éventuellement complexe, par une région de cet espace. Par exemple : "avoir une position supérieur à 0,7 et in

Qu'est-ce qu'une théorie physique ? Qu'est-ce qu'interpréter une théorie ?

Une fois n'est pas coutume, cette entrée ne contient aucune thèse ou position philosophique (ou de manière assez minimale). Il s'agit plutôt de proposer une clarification conceptuelle : qu'est-ce qu'une théorie scientifique ? Un modèle ? Comment est-il confronté à la réalité ? Qu'est ce que l'adéquation empirique d'une théorie ? Qu'est-ce qu'interpréter une théorie ? Pour finir je propose un rapide recensement des positions contemporaines en métaphysique des sciences à l'aulne de cette analyse. Qu'est-ce qu'une théorie ? Je propose la caractérisation suivante de ce qu'est une théorie physique : Un vocabulaire théorique un ensemble de propriétés observables pensées comme contingentes (comme la position, la direction de spin) un ensemble de propriétés fondamentales pensées comme nécessaires à leur objet (comme la masse ou la charge) Des types d'objets (l'électron, ...) pouvant posséder ces propriétés. Des structures mathé

Monisme neutre et physique relationnelle

La physicalisme est l'idée que le mental se réduit (survient, est déterminé par...) le physique (le physique est primitif). L'idéalisme est l'idée que le physique se réduit au mental (le mental est primitif). Le dualisme est l'idée que ni le mental ni le physique ne se réduisent l'un à l'autre (le mental et le physique sont tous deux primitifs). Le monisme neutre est l'idée que le mental et le physique se réduisent tous deux à une substance neutre (ni le mental ni le physique ne sont primitifs). J'ai expliqué dans un article récent que pour moi la controverse sur le physicalisme est une querelle de langage. Qu'appelle-t-on physique ? Si on en a une définition assez large, le physicalisme est trivialement vrai. Si on en a une plus positive, il est faux, mais de toute façon le contenu de la physique n'est peut-être pas physique. Par querelle de langage, j'entends une querelle qui peut être réglée par un choix conventionnel : mettons n

Monisme modal et pragmatisme

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Depuis Kripke on parle frequemment de modalités métaphysiques, celles-ci étant intermédiaire entre les modalités logiques (ce qui est logiquement nécessaire ou non, associé à nos définitions linguistiques) et les modalités physiques (ce qui est physiquement nécessaire ou non, associé aux lois de la nature). Les modalités métaphysiques correspondent à ce qui est nécessaire en vertu de l'essence des choses, de leur nature métaphysique, de leur identité. Par exemple l'eau est nécessairement le composé de structure moléculaire H2O, la chaleur est nécessairement de l'agitation moléculaire, etc. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une nécessité qui dériverait d'une loi physique, ni non plus d'une nécessité de l'ordre de la convention linguistique puisqu'on parlait d'eau et de chaleur avant la science moderne. C'est quelque chose d'intermédiaire entre les deux. Il existe certaines tentatives pour ramener les modalités métaphysiques à des

Zombies

Chalmers attaque le physicalisme sur la base d'un argument invoquant des "zombies phénoménaux" : des êtres qui ont toutes les apparences extérieurs d'un être humain (même comportement, etc.) mais pourtant ne sont pas conscients. Si les zombies sont possibles, alors la constitution physique ne suffit pas à nous rendre conscient. On critique a juste titre le passage de la concevabilité à la possibilité. Les zombies sont concevables, mais pas nécessairement possibles. On peut, pour critiquer ce passage, faire appel à la notion de nécessité a posteriori. Selon Kripke on peut décourvrir a posteriori des nécessités (par exemple quand on découvre la constitution chimique de l'eau, on découvre que nécessairement, l'eau est H2O et qu'il n'aurait pas pu en être autrement puisque c'est sa nature). Si en effet toute nécessité provient du langage, alors on sait ce qui est possible a priori : c'est ce qui n'est pas impossible (ou pas nécessairement p

Une petite théorie politique

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Pour changer un peu de la philo des sciences, et suite à ces élections qui semblent n'être que le nouvel épisode d'un éternel recommencement, je vous propose mes deux francs six sous de théorie politique. Alors non, je ne suis pas spécialiste. D'habitude je m'intéresse plutôt à la physique quantique. Vous savez, cette théorie qui donne lieu à tant d'extrapolations fumeuses... Enfin, puisqu'on en n'est pas à une extrapolation fumeuse près, je me suis dit que peut-être on pouvait faire une vague analogie entre la physique quantique et le paysage politique de nos démocraties.

Peut-on être réaliste et empiriste ?

Rappelons les termes du débat sur le réalisme scientifique. L'empiriste pense que toute connaissance doit être issue de l'expérience. Le problème est que le réalisme scientifique, qui postule que a réalité est correctement décrite par nos théories, est une thèse métaphysique. Or une thèse métaphysique, portant sur la nature fondamentale du monde, ne peut être fondée sur l'expérience uniquement. Elle nous demande d'aller au delà, de recourir à des intuitions, dont il est douteux, pour l'empiriste, qu'elles soient fiables. Ainsi l'empiriste entretiendra une suspicion à l'égard de toute hypothèse qui ferait plus qu'enregistrer des régularités vis-à-vis de ce qui est observable. Il doutera : des essences (des propriétés possédées nécessairement par les objets et qui en déterminent la nature), des rapports de causalité qui supposent une nécessité dans le monde, ou de l'existence de propriétés, relations ou objets inobservables en général. Tout ce que

Pragmatisme et réfutabilité

Dans le dernier billet j'ai défendu une interprétation pragmatiste du contenu des théories scientifiques : les énoncés théoriques devraient être interprétées en terme de fonctions possibles, et une théorie est vraie dans la mesure où elle est à même de réaliser toutes les fonctions qu'on peut lui assigner. Aujourd'hui je souhaite faire le lien avec d'autres théories de la signification.

L'interprétation pragmatiste des théories scientifiques

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Je viens de lire "Philosophie du langage (et de l'esprit)" de François Recanati. L'ouvrage est intéressant et offre un panorama assez large de la philosophie du langage. Il revient d'abord sur les concepts classiques de la discipline, en particulier les notion de sens, de référence, d'intension, d'extension, de désignation, de dénotation, de connotation, et j'en passe, telles qu'elles ont été envisagées par différents auteurs (Mill, Frege, Carnap, Kaplan...). Il aborde ensuite d'autres perspectives, notamment la sémantique pragmatique et les rapports entre représentation linguistique et représentation mentale. C'est à la fois une bonne introduction générale à la philosophie du langage et une bonne présentation des thèses de l'auteur. Mais mon but n'est pas ici de proposer une revue de ce livre. Je vais plutôt résumer quelques aspects d'intérêt, sans m'en tenir nécessairement au contenu du livre, avant d'aborder la man

La force des valeurs, ou le problème épistémologique de l'extrême droite

Rien de tel qu'un titre à la fois pompeux et racoleur pour vous faire partager les quelques réflexions que m'ont inspiré les événements récents. Non, je ne vous dirai pas si je suis Charlie (vous vous en fichez un peu, non ?). Je voudrais plutôt porter mon attention sur une caractéristique de certains discours, en particulier, de manière prononcée, du discours d'extrême droite.