Qu'est-ce que le temps ? (1) - L'approche classique

Le temps de la science est-il compatible avec celui de notre vécu dans lesquels les événements se succèdent ? Est-ce le même temps ? Comment expliquer le succès prédictif des théories scientifiques alors que la conception déterministe et réversible qui l'accompagne semble aller contre l'intuition ? En retraçant l'histoire de la conception du temps dans la science, de la physique classique aux derniers axes de recherche, nous tenterons de répondre à ces questions. Nous nous attacherons à la notion de temps non pas en tant dimension à travers la durée, mais plutôt à son essence même, et donc aux notions d'irréversibilités et de déterminisme. Le premier article sera consacré à la physique classique et statistique, le second à la physique quantique et relativiste et le dernier à la science du chaos et des systèmes hors équilibre.


La physique classique


Au XVIIème siècle, Newton propose un modèle du monde dans lequel l'espace et le temps sont le cadre immuable des évènements et les particules ponctuelles leurs acteurs. Il décrit mathématiquement les forces qui les animent par des équations. Dès lors ce modèle connait un énorme succès prédictif et explicatif, et marque le début de la science telle que nous la connaissons. Il devient possible de prédire le mouvement des astres, mais aussi d'essayer de comprendre les mécanismes qui sous-tendent ce mouvement, et qui sont les mêmes que ceux qui font tomber les objets : l'attraction universelle. Fort de ce succès, l'homme peut nourrir le rêve un jour de dévoiler l'ensemble des mécanismes de l'univers.

Les lois de Newton sont déterministes et réversibles par rapport au temps. Ceci signifie que si l'on connait parfaitement l'état d'un système à un moment donné, nous pouvons déduire avec certitude l'évolution de son état au cours du temps, aussi bien vers le futur qu'en remontant dans le passé. Ceci signifie également qu'un film passé à l'envers devrait être indiscernable d'un film passé à l'endroit. Une balle jetée au sol devrait en théorie rebondir indéfiniment. Ceci semble irréaliste dans le monde qui nous entoure, et les physiciens s'essaieront ensuite à expliquer les forces de frottement, mais reste tout a fait réaliste à l'échelle des astres.

Ainsi dans la physique classique, l'univers n'a pas d'histoire, il est immuable. Le temps semble n'exister que comme une dimension dans laquelle se déroulent des événements déjà écrits. Il n'y a que l'existence de Dieu pour expliquer que le monde soit tel que nous le connaissons, avec ses astres, ses paysages et ses espèces vivantes. Dans ce monde mécanique, l'homme habité d'une âme forcément immatérielle peut être conçu soit comme simple spectateur de son existence, soit comme acteur doué du libre arbitre, en quel cas la science lui offre un pouvoir technique inédit.


La physique statistique
et la thermodynamique

C'est au XIXème siècle avec la thermodynamique et en grande partie grâce au travail de Boltzmann que l'irréversibilité par rapport au temps sera théorisée. Pour comprendre ce qui fonde les lois de la thermodynamique, imaginons une boule de billard lancée sur un tapis. Elle finit par s'arrêter. Mais l'énergie fournie à la boule au départ n'a pas disparue, elle a été transmise par les frottements au tapis, ce qui a eu pour effet d'agiter de manière désordonnée ses molécules, et s'est traduit finalement par une légère augmentation de la température du tapis.

Or nous observons que si une énergie "ordonnée" comme le mouvement peut se transformer en énergie "désordonnée" telle que la chaleur, l'inverse est impossible. Jamais les mouvements erratiques et microscopiques des molécules du tapis ne se mettront spontanément à suivre la même direction pour pousser la boule de billard. Une différence de température entre deux zones peut provoquer le mouvement d'un gaz, comme dans une machine à vapeur, mais pas la chaleur en elle même. Une différence de chaleur est d'ailleurs également une forme "d'ordre" qui finit naturellement par se transformer en désordre, ce qu'on peut constater en versant de l'eau chaude dans un bain froid : la température devient rapidement homogène.

En thermodynamique, ce concept que nous interprétons comme un désordre s'appelle l'entropie. Il peut également s'interpréter en terme d'information (un mouvement uniforme contient moins d'information que des mouvements désordonnés). La thermodynamique comprend deux principes fondamentaux. Le premier stipule que l'énergie d'un système isolé se conserve toujours. Le second affirme que l'entropie globale d'un système isolé ne peut qu'augmenter. La variation d'entropie est donc une marque d'irréversibilité du temps : quand dans une réaction donnée elle augmente, on parle de réaction irréversible. Quand l'entropie ne varie pas, il est toujours possible d'inverser la réaction sans nouvel apport d'énergie, elle est réversible. Enfin on peut définir l'état d'équilibre d'un système comme son état d'entropie maximale, quand l'entropie ne peut plus augmenter.


Réversible ou irréversible ?


La thermodynamique entend expliquer les phénomènes macroscopiques en se fondant néanmoins sur les lois de la mécanique newtonienne. La température d'un liquide, par exemple, n'est finalement qu'une expression de la valeur moyenne de la vitesses des particules dont est constitué le liquide. La thermodynamique est donc une science statistique entièrement fondée sur des lois réversibles et déterministes, celles de Newton. Pourtant de cette science émerge une loi indéterminisme. Comment expliquer ce paradoxe ?

Pour répondre à cette question, considérons de nouveau une table de billard sur laquelle on place des boules de manière ordonnée, par exemple dans un triangle comme au début d'une partie. Si l'on projette la boule blanche sur les autres, après quelques instants, l'état du billard est totalement désordonné : les boules sont réparties un peu partout sur la table. Pourtant chaque choc entre deux boules est réversible, et l'on pourrait donner aux boules un mouvement exactement inverse pour qu'elles retrouvent leur état initial. Mais une petite imprécision dans cette tentative donnerait un résultat différent et désordonné. Ceci peut s'expliquer par le fait que l'état désordonnée est simplement plus probable que l'état ordonné. De même que la transformation de chaleur en mouvement est hautement improbable tandis que la transformation inverse est très probable, l'apparition de structures sur un billard par une succession de chocs entre les boules est hautement improbable.

Ainsi l'irréversibilité en thermodynamique ne serait qu'une illusion donnée par des conditions initiales ordonnées et par l'évolution des systèmes vers des états plus probables, donc plus homogènes et moins ordonnés. Rien ne peut expliquer la présence de structures ou d'êtres vivants dans le monde, sinon des conditions initiales extrêmement bien ajustées, sans doute par un être divin. Mais le pire dans tout ça, c'est que l'univers se dirige inéluctablement vers le désordre et l'homogénéité croissante, vers un état d'équilibre ultime où plus rien de nouveau n'apparaitra. Autrement dit : nous allons tous finir poussière... Mais nous verrons dans le prochain article qu'heureusement les choses ne s'arrêtent pas là.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Commentaire sur "où doit s'arrêter la recherche scientifique"

Zététique, militantisme et composante sociale de la connaissance