Les OGM : arguments moraux, scientifiques et économiques

La manipulation génétique des organismes vivant est-elle en tant que telle condamnable ? Faut-il interdire l'introduction des OGM dans la nature, dans notre alimentation, voire même la recherche sur les OGM ? Il s'agit d'un débat complexe ou règne souvent une certaine confusion entre différents arguments, et je souhaite ici le clarifier en abordant ses différents pendants.

Pour ce faire, on peut commencer par distinguer deux questions : la manipulation génétique est-elle condamnable moralement, simplement pour ce qu'elle est ? Est-elle condamnable en vertu de ses conséquences potentiellement néfastes sur la nature, la santé ou l'économie ?

La manipulation génétique est-elle intrinsèquement mauvaise ?

Pour ce qui est de la première question, on peut la reformuler de la manière suivante : imaginons que nous soyons omniscient et que nous puissions connaître avec certitude les conséquences, positives et négatives, de l'introduction d'OGM sur l'environnement et la santé. Imaginons que ces conséquences soient toutes positives. Faudrait-il malgré tout interdire les OGM parce que ce sont des OGM ?

A mon avis il est difficile de répondre positivement. Les arguments en faveur de cette thèse pourraient s'appuyer sur l'intégrité du vivant : manipuler délibérément un génome serait violer cette intégrité. Seulement aucun génome n'est figé à l'état naturel et il est difficile de donner sens à cette notion d'intégrité.  Les mutations provoquées par la manipulation génétique ne se différencient pas par nature des mutations naturelles (provoquées par exemple par les virus ou de manière aléatoire lors des divisions cellulaires) : elles ne s'en différencient qu'en tant qu'elles sont mieux contrôlables par l'homme. Peut-être existe-t-il d'autres différences qualitatives entre un génome "naturel" et un génome manipulé artificiellement, mais il faudrait pouvoir justifier lesquelles, et ensuite expliquer en quoi ces différences permettent de condamner moralement les OGM pour ce qu'ils sont.

En l'absence d'une telle justification (à ma connaissance), on peut en conclure que la particularité des OGM n'est pas intrinsèque : être un OGM n'est pas une propriété propre à un organisme donné mais une propriété d'un organisme relativement à la société humaine et au contrôle qu'elle exerce sur le génome de cet organisme. S'il faut condamner moralement une chose, ce n'est donc pas les OGM pour ce qu'ils sont, mais l'ingénierie génétique en tant que pratique sociale, ou le fait de contrôler le génome d'un organisme pour des besoins humains.

Le problème est que les croisements entre animaux pratiqués dans l'élevage constituent aussi en tant que tels une forme de contrôle à des fins humaines du génome des organismes issus de ces croisements. Il s'agit d'un contrôle moins précis, mais s'agit-il d'un contrôle de nature fondamentalement différente ? Peut-être pourrait-on dire que le contrôle par croisement est sélectif (on ne fait que choisir les caractéristiques souhaitables parmi celles qui sont naturellement à notre disposition) tandis que la manipulation génétique est un contrôle actif (on "fabrique" les caractéristiques souhaitables). Mais pourquoi un contrôle actif serait-il intrinsèquement mauvais quand un contrôle sélectif ne le serait pas, ou le serait moins ?

Il peut exister des raisons morales de condamner un contrôle actif : par exemple quand il s'agit de restreindre la liberté d'autrui. Orienter la conduite d'une personne en favorisant certaines de ses actions, en maniant la carotte et le bâton, n'est pas la même chose que d'imposer son action par la force. Il y aurait donc une voie permettant de condamner moralement la manipulation génétique des organismes, mais elle est tenue : il faudrait considérer que l'évolution naturelle des organismes par mutation est une forme de liberté qu'on peut orienter de manière sélective, en "provoquant la chance", mais qu'on ne peut aliéner en la forçant. Le problème de cet argument, c'est que, d'une part, il revient à considérer que l'action de certains virus est moralement condamnable (mais on rétorquera que les virus ne sont pas des agents moraux), et d'autre part, et surtout, que la manipulation génétique fait pâle figure face à d'autres formes de contrôle actif du vivant bien plus manifestes, notamment l'élevage et l'abattage des animaux. Il n'y a pas de raison de croire que la liberté de muter naturellement pour une cellule est plus importante que la liberté de vivre naturellement pour un mammifère -- bien au contraire. On pourrait faire valoir que la manipulation génétique est un contrôle qui s'exerce sur les propriétés intrinsèques de l'organisme, celles qui fondent son identité, et non pas de manière externe sur le comportement de l'organisme, mais il n'est pas du tout certain que le fait de tuer un animal ne soit pas également une atteinte à un élément essentiel de son identité : le fait d'être vivant.

Il y aurait donc, sur le plan strictement moral, un peu de ménage à faire avant de s'attaquer aux OGM.

La manipulation génétique est-elle néfaste ?

Reste donc l'autre angle d'attaque plus pragmatique qui est celui des conséquences potentiellement néfastes de la mise en œuvre de manipulations génétiques à une échelle importante, par exemple sur la santé ou l'environnement. Ce domaine est bien plus complexe puisqu'il touche à la gestion du risque et qu'il demande de comparer différentes solutions alternatives, dont le nombre n'est pas forcément limité, quant à leurs conséquences, qui ne sont pas nécessairement connaissables, dans des domaines et suivant des critères divers eux-même sujets à débat.

Afin de clarifier un peu la question, on pourra distinguer trois types de conséquences : les conséquences sur l'environnement, sur la santé et sur l'économie.

Commençons par traiter des deux premiers types, qui relèvent plus directement du domaine scientifique. On peut alors distinguer deux types d'arguments : les uns portant sur des conséquences néfastes avérées, et les autres sur des conséquences néfastes potentielles ou inconnues.

Pour ce qui est des conséquences avérées, il faut avouer qu'elles sont loin de faire consensus sur le plan scientifique. Il n'existe pas d'étude non controversée montrant des effets néfastes significatifs des OGM sur la santé ou l'environnement, et à ma connaissance le consensus scientifique sur le sujet va plutôt dans l'autre sens : les OGM ne seraient pas spécialement dangereux (en tout cas pas de manière générale, même si certains peuvent l'être, mais les contrôles avant la mise sur le marché existent).

On peut penser que la recherche dans ce domaine est biaisée en faveur des OGM, pour des raisons économiques, les recherches étant souvent financées par les industriels de l'agroalimentaire, mais contester l'ensemble de ces résultats en affirmant qu'ils sont faussés de manière systématique par la communauté scientifique relève de la théorie du complot. Si donc il y a un biais, il ne peut être énorme au point d'occulter complètement un danger important (dans le domaine de la santé notamment, on ne peut imaginer que les OGM actuellement sur le marché et consommés dans différents pays puissent être aussi cancérigènes que, par exemple le tabac qui constitue une cause de cancer très importante : les conséquences en seraient déjà visibles sur le plan épidémiologique). Il est de plus extrêmement peu crédible que l'ensemble des OGM, quels qu'ils soient, présentent un danger quelconque simplement du fait d'être un OGM : les manipulations génétiques qu'il est possible d'apporter sont a priori diverses, et encore une fois il n'existe pas à mon sens de différence de nature entre un OGM et un organisme naturel, mais seulement une différence de rapport à la société humaine. Certains organismes sont mauvais, d'autres non.

Enfin les OGM ont potentiellement des aspects positifs, notamment pour certains d'entre eux une utilisation moindre des pesticides (ces OGM produisant par eux-même les pesticides, ce qui permet un meilleur confinement de ces derniers). C'est aussi un avantage certain de l'agriculture biologique que de ne pas avoir recours à certains pesticides, mais cette dernière n'est pas incompatible avec l'utilisation d'OGM et on ne peut donc opposer les deux. Le fait que les OGM soient aujourd'hui utilisés dans une optique productiviste plutôt que dans une optique de développement durable, si tel est le cas, n'est pas a priori une caractéristique fondamentale de l'ingénierie génétique en tant que telle, plutôt de la façon dont celle-ci est aujourd'hui pratiquée.

Ces questions sont assez techniques et je ne m'y aventurerai pas plus avant, mais, me semble-t-il à première vue, les opposants aux OGM n'y sont pas nécessairement en terrain très favorable.

Les risque inconnus : un argument empirique

Si les conséquences avérées sont loin d'être mises en évidence, reste donc les conséquences potentielles et inconnues que pourraient avoir l'introduction d'OGM à grande échelle, sur le long terme. Il s'agit d'un type d'argument différent qui consiste à faire valoir que notre maîtrise de la nature (ou du corps humain dans le cas de la santé) serait surévaluée, notre impact sur la nature ou la santé sous-évalué, enfin que de par leur aspect artificiel, le risque que les OGM soient néfastes ne serait pas négligeable.

Il me semble que l'argument est bien plus fort dans le domaine environnemental que dans le domaine de la santé. On peut le justifier sur une base empirique : nous avons, au cours de l'histoire, considérablement amélioré notre santé mais les problèmes environnementaux sont légion, et il est certain que notre impact environnemental va grandissant, et que les écosystèmes sont des systèmes extrêmement complexes dont la compréhension par l'homme a été souvent sur-évaluée dans l'histoire (par exemple quand on a introduit le lapin en Australie, mais les exemples sont nombreux).

Cet argument empirique est toutefois critiquable. A partir de quand faut-il considérer qu'un progrès technique présente un risque important pour l'environnement ? On peut se demander si une induction sur la base de cas historiques est défendable : pour établir une telle induction historique, ne faudrait-il pas comptabiliser l'ensemble des progrès techniques qui n'ont pas causé de catastrophe environnemental ? Comment "compte"-t-on les progrès ? Peut-on mettre tous les progrès sur le même niveau ou faut-il tenir compte de leur "globalité" (et si oui comment la mesure-t-on) ou du fait qu'ils touchent à l'environnement ? Comment évaluer les risques liés à un progrès technique quand chaque cas historique est unique : le cas des OGM est-il comparable à celui du réchauffement climatique ? D'ailleurs, à quel progrès exactement attribuer le réchauffement climatique ou l'extinction massive des espèces qui a cours en ce moment ? Ne sont-ils pas attribuables à l'activité humaine dans son ensemble plutôt qu'à une technologie en particulier ?

Toute ces questions pourraient nous faire douter que la question des OGM soit vraiment centrale en matière d'environnement : plutôt que de se focaliser sur certaines nouveautés techniques particulières, la question environnementale demanderait un traitement politique global mettant l'accent sur l'activité humaine dans son ensemble, en particulier l'agriculture productiviste (et on touche ici à des questions plus générales pour lesquelles d'autres critères, politiques et économiques, entrent en jeu).

Cependant le fait de mettre l'accent sur des aspects politiques globaux ne doit pas nous empêcher de nous préoccuper des risques associés à telle ou telle technologie particulière nouvelle. Dans le cas des OGM, il s'agit d'une technologie liée à l'environnement, et qui peut être massivement utilisée, et la question du risque que cette technologie représente reste légitime.

Les risques inconnus : un argument scientifique

Une raison de se préoccuper de l'introduction d'OGM dans l'environnement est qu'on peut penser, connaissances scientifiques à l'appui, que les écosystèmes ne sont pas en tant que tels contrôlables par l'homme et que notre impact sur eux est fondamentalement imprévisible. Voilà qui pourrait servir de justification pragmatique aux intuitions qui motivent l'argument moral évoqué plus haut. Si un contrôle actif de la nature est moralement condamnable, ce serait parce qu'il est inefficace : il est impossible de contrôler un organisme naturel placé dans un écosystème complexe sans effets inattendus, et il faut donc privilégier un contrôle "sélectif" plutôt que "actif" (ce qui est une question de degré), ou la recherche de stabilité dans nos relations à la nature plutôt qu'une course sans fin.

Par ailleurs, si le fait qu'une chose soit naturelle ou artificielle n'indique pas qu'elle est bonne ou mauvaise pour la santé de l'homme (il existe des poisons naturels et des remèdes artificiels), on peut penser qu'une chose artificielle sera certainement plus à même de provoquer un déséquilibre environnemental qu'une chose naturelle, qui est, par définition, intégrée dans l'environnement. Si donc l'idée que les OGM comportent un risque inconnu dont il serait rationnel de se prémunir est défendable, c'est dans le domaine environnemental plutôt que sanitaire.

Mais d'une part ces arguments s'appliquent aussi bien à l'agriculture sans OGM, qui est "artificielle" et qui impacte l'environnement. D'autre part, dans la mesure où rien ne différencie par nature un OGM d'un organisme naturel qui aurait muté hormis sont rapport à la société humaine, qu'est-ce qui peut justifier que cet impact artificiel constitue un risque environnemental important ? Après tout des mutations se produisent naturellement tous les jours. Il faudrait donc pouvoir justifier d'une différence qualitative entre les mutations provoquées par l'homme et les mutations naturelles.

Il est possible que le facteur d'échelle joue : le fait d'introduire cette mutation sur un nombre massif d'organismes à travers une exploitation mondialisée, tandis qu'une mutation naturelle est isolée à un organisme. Ceci dit l'introduction massive d'organismes étrangers au sein d'écosystèmes est déjà pratiquée par l'agriculture sans OGM, et de longue date (qu'on pense à l'introduction de la pomme de terre par exemple). La différence peut alors se situer dans le fait que ces organismes étrangers naturels avaient "fait leurs preuves" en terme d'intégration harmonieuse dans un environnement, ce qui n'est pas le cas des OGM. A noter que ce critère n'est pas nécessairement suffisant : le fait d'avoir "fait ses preuves" n'a pas empêché certaines introductions d'organismes étrangers d'être désastreuse sur le plan écologique. A plus forte raison, donc, dans le cas des OGM -- si ce n'est que ces derniers sont beaucoup moins "étrangers", qu'ils ne sont que des mutants d'espèces déjà intégrées. La question reste donc ouverte de savoir si l'introduction d'OGM en tant que telle comporte un risque propre par rapport à d'autres types d'interventions sur l'environnement, et s'il faut invoquer, dans ce cas précis qui touche à l'environnement (donc dont les risques ne sont pas forcément maîtrisables), un "principe de précaution".

Il s'agit encore une fois de questions complexes dont la réponse est loin d'être évidente, mais même si ces arguments ne sont pas décisifs, il s'agit là à mon sens des arguments les plus forts à l'encontre de l'introduction d'OGM dans l'environnement.

L'aspect économique

En matière d'économie et de politique, il est toujours difficile d'obtenir un consensus. Certains verrons de nombreux avantages économiques aux OGM : ils peuvent apporter un progrès face à la malnutrition, faire baisser les coûts de production, ... D'autre y verrons des aspects négatifs : ils permettraient à certaines grandes entreprises d'assurer leur mainmise économique sur le secteur agroalimentaire de manière inédite, notamment par l'introduction de brevets sur le vivant, ou de plantes stériles qui ont pour but de captiver le client.

Il est difficile cependant de dire si l'autorisation du génie génétique peut avoir des conséquences néfastes sur l'économie, ou si c'est plutôt notre modèle économique qui peut avoir comme conséquence une certaine promotion et une certaine utilisation des OGM qu'on peut juger néfastes. On pourra remarquer que ce type de pratique s'apparente sous certains aspects aux protections contre la copie des fichiers musicaux ou des logiciels. La question de savoir si elles sont légitimes ou non n'est donc pas spécifique aux OGM : il me semble qu'on peut les condamner sans pour autant condamner l'utilisation des OGM en tant que telle.

J'ai donc tendance à pencher pour la deuxième solution : les effets économiques néfastes que peuvent avoir l'utilisation des OGM seraient essentiellement des effets de notre modèle économique, en quel cas l'interdiction des OGM est plutôt un palliatif qu'une réelle solution au problème. Il s'agit de supprimer le symptôme plutôt que la maladie. On peut dans ce cas, si l'on pense que notre système économique est néfaste (cette question dépasse largement le cadre de ce modeste article), défendre l'interdiction des OGM comme un moindre mal, ou une étape vers l'adoption de modèles économiques plus souhaitables.

Mais on peut aussi penser que les OGM, en tant qu'outil nouveau à la disposition de pouvoirs économiques, ont une capacité de nuisance propre et inédite sur l'économie. Ce point demanderait à être justifié (par exemple les brevets ou la création de semences stériles est-il propre aux OGM ?). Il faudrait également expliquer en quoi l'interdiction totale des OGM s'impose dans ce cas, plutôt qu'une régulation.

Hormis sur ce dernier point, l'argument économique ne me semble pas être à même de justifier de manière indépendante l'interdiction des OGM : il vient plutôt en renfort des autres arguments.

En effet si l'on pense que les OGM sont condamnables, soit sur le plan moral, soit sur le plan des risques environnementaux ou sanitaires, on sera enclin à affirmer que cet aspect condamnable est une manifestation typique de notre système économique. Par exemple, on affirmera qu'un système productiviste tend toujours à accroître le contrôle de l'homme sur la nature plutôt que de viser une harmonie plus pérenne, moralement plus juste, que c'en est une caractéristique principale. Ou encore qu'il tend à favoriser la prise de risques inconsidérés vis à vis de l'environnement. Enfin les OGM seraient un nouvel outil facteur de risques dans les mains de ce système. Alors l'argument économique apporte une raison de plus d'interdire les OGM comme étape nécessaire vers un meilleur système économique.

Mais si on ne pense pas que les OGM sont condamnables moralement ni ne comportent un risque particulier pour l'environnement, alors l'argument ne tient plus puisqu'on ne peut plus voir dans les OGM en tant que tels une manifestation délétère typique de notre système économique ni un risque supplémentaire. Ils pourront même perdurer dans un système plus souhaitable. Les aspects négatifs que peuvent avoir certains OGM sur l'environnement ou la santé seraient essentiellement attribuables au système productiviste dans lequel nous nous trouvons, non pas à l’ingénierie génétique en tant qu'activité humaine, et ne seraient donc ni plus ni moins important dans le cas des OGM que dans le cas, par exemple, de l'agriculture productiviste sans OGM. Les bio-technologies seraient neutres. Ceci n'empêche pas de condamner certaines pratiques liées aux OGM, comme les brevets sur le vivant, ou l'agriculture productiviste en général, mais ne permet pas de condamner les OGM en tant que tels.

La question est donc entièrement subordonnée à celle de savoir si les OGM comportent ou non un risque, ou s'ils sont ou non moralement condamnables par ailleurs. On comprend que les argumentations contre les OGM peuvent parfois paraître confuses et donner l'impression de mélanger différents points : les aspects économiques ne sont généralement pas indépendants des aspects environnementaux, mais reposent sur eux et viennent les renforcer le cas échéant.

Conclusions pratiques

Nous avons abordé différents arguments contre les OGM : des arguments moraux, pragmatiques, environnementaux ou économiques. Il reste à savoir les conséquences pratiques qu'il faut en tirer : suivant les arguments auxquels on adhère, faut-il interdire toute recherche sur les OGM ou seulement leur introduction dans la nature ?

L'argument moral serait à même de justifier une interdiction complète, de la recherche comme de l'introduction d'OGM. Seulement nous avons vu qu'il était peu convainquant, ou bien risquait de faire de la question des OGM un problème mineur. Les arguments portant sur les conséquences sanitaires et environnementales, avérées ou inconnus, pourraient justifier l'interdiction de l'utilisation et de l'introduction d'OGM dans la nature. Cependant ils ne justifient en aucun cas l'arrêt des recherches, bien au contraire : une meilleure connaissance des OGM ne peut qu’accroître la maîtrise de leur impact et l'étendue des solutions possibles pour résoudre des problèmes sanitaires et environnementaux. Enfin l'argument économique, s'il s'agit de renforcer les autres arguments, ne permet pas de réellement répondre à la question. Tout dépend de la manière dont on compte défendre un système économique plus souhaitable : sur le plan moral d'un moindre contrôle de la nature (en quel cas on justifie une interdiction complète, y compris de la recherche), ou sur le plan d'une moindre prise de risque environnementale (en quel cas la recherche est bienvenue) ? Si enfin on pense que les OGM comportent un pouvoir de nuisance économique propre en tant que nouvel outil à disposition de pouvoirs économiques, il n'est pas certain qu'on puisse justifier d'interdire leur utilisation plutôt que d'adopter une forme ou une autre de régulation, et rien ne justifie a priori d'interdire la recherche.

En conclusion, il me semble que l'argument le plus convainquant contre les OGM consiste à faire valoir l'aspect imprévisible que peut avoir notre impact sur l'environnement. A ce titre l'introduction massive d'OGM pourrait comporter un risque. Cet argument peut être renforcé par un argument économique : il s'agirait là d'une caractéristique essentielle de notre système productiviste que de négliger les risques environnementaux, et lutter contre l'utilisation massive des OGM en agriculture constituerait une étape vers un système plus respectueux de l'environnement. Je reste donc plutôt sympathisant à la cause, au moins quand elle est correctement argumentée, et même si à mon avis il convient de nuancer vis à vis des risques que nous prenons déjà par ailleurs. Au final, les différents arguments ne sont pas tous convainquant quand on les examine avec attention, et il est légitime de penser, y compris sur le thème de l'environnement et des politiques agricoles, que l'accent pourrait être mis sur d'autres aspects moins nouveaux, donc peut-être moins "effrayants", mais peut-être, finalement, plus manifestement importants pour notre avenir.

Commentaires

diable moelleux a dit…
Bonsoir,

Vous dites : "contester l'ensemble de ces résultats en affirmant qu'ils sont faussés de manière systématique par la communauté scientifique relève de la théorie du complot. Si donc il y a un biais, il ne peut être énorme au point d'occulter complètement un danger important"

Certes, en annonçant que c'est la communauté scientifique tout entière qui fausse systématiquement les résultats sur les OGM est certainement irréaliste (me semble-t-il) mais ce n'est pas la même chose d'affirmer que les études scientifiques indépendantes sont insuffisantes (en nombre) et que les études financées par les firmes intéressées sont elles, systématiquement biaisées...

Or, pour reprendre les exemples du documentaire "Notre poison quotidien", (qu'il conviendrait certes de vérifier, mais au même titre que vos assertions), les études "scientifiques" financées par les industries concernées par les pesticides, par l'aspartame, par l'emploi et/ou la production de bisphénol A ont quant à elles été fréquemment, sinon systématiquement, truquées, et les études scientifiques indépendantes, elles, systématiquement retoquées. Et ceci ne me semble pas tenir de la théorie du complot : oui, des hommes font des efforts pour cacher les conséquences nocives sur l'environnement ou la santé dans le but de conserver leurs profits (leur gagne-pain). Ce n'est pas plus étonnant que de savoir que d'autres hommes gagnent leur vie sur le commerce des armes.

D'ailleurs vous mettez cela en opposition avec le tabac dont les effets cancérigènes sont certains. Mais il y a quelques dizaines d'années, lorsque les études confirmant l'aspect cancérigène certain du tabac ont commencé à menacer ce commerce, les industriels se sont unis pour faire taire les scientifiques et pour financer des spots publicitaires affirmant que le tabac ne présentait aucun danger pour la santé.

Bref, je trouve que vous balayez un peu vite l'argument de l'impact des OGM sur la santé. Êtes-vous certain que les études scientifiques indépendantes sur les OGM sont suffisamment nombreuses (et suffisamment indépendantes) pour affirmer que les conséquences sur la santé ne sont pas importantes ?

Amicalement,
diable moelleux a dit…
Mince, au deuxième paragraphe, lire
"Certes, annoncer que"...
Quentin Ruyant a dit…
Bonsoir,

Merci pour ce commentaire.
Honnêtement j'avoue ne pas être suffisamment informé pour savoir ce qu'il en est (c'est plus un essai qu'un véritable article d'expert). Je crois me souvenir avoir vu que les scientifiques travaillant pour les compagnies privées déclarent plus "d'arrangements" avec les résultats scientifiques, dans l'industrie pharmaceutique par exemple. Ceci dit si on peut craindre une certaine forme de laxisme et donc effectivement un risque accru, une tromperie massive, sans fuite dans les médias ni rien, me parait assez peu plausible a priori. Enfin je me trompe peut être.

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