La publicité est un monstre



La publicité est un monstre


On a peu de peine à imaginer comment est née la publicité. Elle trouve naturellement son origine dans la nécessité pour le commerçant de trouver des clients, de se faire une réputation. On imagine également comment au XIXème siècle le développement de la presse écrite et l'amorcement des médias de masse fut une opportunité extraordinaire pour se faire connaître à une échelle immense. Sans les médias de masses, pas d'industrie de masse. On comprend donc aisément l'émergence d'un marché de la publicité médiatique. Mais voilà qu'aujourd'hui la publicité est devenue un monstre.

Quand je parle d'un monstre, ce n'est pas forcément négatif. Je veux parler d'une chose qui à force de grossir et de muter est sortie de son cadre d'origine, de sa fonction première. Je parle de quelque chose qui n'était qu'un moyen et qui est devenue une fin en soit. Dans notre monde il y a des monstres partout, et la publicité médiatique en est un. C'est un monstre à la fois par ce qu'elle est et de par la position qu'elle occupe dans l'économie.


Le format publicitaire


C’est un monstre de par ce qu’elle est. Il y a bien longtemps que la publicité ne se cantonne pas à promouvoir les qualités d’une marque ou d’un produit. Dans sa forme écrite elle essaie d'abord de nous interpeller, elle attire notre attention. Dans sa forme audiovisuelle elle est plus sournoise encore. Nous y assistons passivement. Elle nous divertis, nous rassure. Elle nous raconte une histoire, nous fait rire. Elle nous touche. Fine psychologue, nous connaissant mieux que nous-mêmes, elle use de toutes les connaissances sur l'esprit humain pour nous manipuler, et avec notre consentement... Quel que soit le format, Son but n'est plus seulement de nous faire connaitre la marque, c'est de faire de la marque un univers auquel on adhère, c'est de coloniser notre esprit. La publicité est au pouvoir économique ce que la propagande est au pouvoir politique, une entreprise de soumission.

La publicité est un monstre, car elle ne ressemble pas du tout à ce qu'elle est réellement. Si nous voyions à la télévision un commerçant nous dire « venez acheter chez moi », nous comprendrions immédiatement de quoi il s’agit, mais aucune publicité ne nous montre ça. Comme le diable des mythes elle revêt des formes agréables pour nous séduire et nous tromper.

Bien sûr nous adulte sommes bien conscients de ce jeu de dupe. Pourtant nous l’oublions volontiers. Maline, elle ne nous apporte que réconfort alors nous la laissons faire. Nous acceptons qu’elle s’invite chez nous, et jusque dans notre esprit et nous cédons volontiers à ses tours de magies en continuant à nous dire que de toute façon, nous gardons le contrôle. Et elle se gardera bien de nous faire croire le contraire.


La publicité comme financement


Quand comme moi on est né avec la publicité télévisuelle, il faut un petit moment, étant enfant, avant de bien comprendre son rôle et son fonctionnement, avant de comprendre, par exemple, pourquoi la télévision est gratuite dans ce monde où tout est payant. C’est ce deuxième aspect qui fait de la publicité un monstre dans son positionnement économique.

Qu'une activité commerciale profite de la diffusion d'un média pour se faire connaître et promouvoir ses produits, rien de plus naturel. Que le média demande ensuite rétribution, c’est dans la logique des choses. La où un renversement se produit, c'est quand le media existe non pas en lui même mais grâce à la publicité, c'est à dire quand la publicité devient un mode de financement décisif, voire le seul. Alors elle se transforme en monstre.

Il existe par exemple des quotidiens gratuits, c'est à dire entièrement financés par la publicité. Que penser du contenu de ces médias ? Dans le meilleurs des cas, qu'il s'agit uniquement de rendre acceptable des tracts publicitaires qui finiraient autrement sur la voie publique, l’idée étant de les rassembler judicieusement autour d'articles susceptibles de susciter l'intérêt, et de les regrouper sous forme de journal. Il en va logiquement de même des programmes télévisuels, judicieusement diffusés entre les publicités. Reste à les doter de qualités suffisantes pour attirer notre attention…


L’économie de l’attention


Nous voilà en plein dans ce qu'on appelle l'économie de l'attention, celle là même qui explose sur internet. Le principe en est que, contrairement à ce qu’on imagine au premier abord, nous consommateur ne sommes pas les clients du média, mais leurs fournisseurs, puisque le client du média, c’est l’annonceur. Le média est un intermédiaire entre nous et lui, le produit vendu étant notre attention, c'est à dire une sorte de promesse d'achat potentielle, et notre rétribution étant le contenu du média, c'est-à-dire quelque chose qui nous intéresse. Voilà comment ce renversement progressif des rôles a abouti à la marchandisation de notre attention, notre « production » d’attention étant mesurée via l’audimat.

Seulement cette transaction commerciale entre nous et le média est « batarde », premièrement parce que notre rétribution n’est pas quantitative comme l’argent mais qualitative, et a donc une valeur subjective, ensuite et surtout parce que la transaction est consenti mais n'a pas besoin d'être clairement déclarée pour avoir lieu, et se fait donc en quelque sorte à notre insu. En effet nous restons dans l’idée que le média est entièrement gratuit.

Plus qu’une réelle transaction, il s’agit là d’une forme d’exploitation, de la même façon qu’on exploite les vaches, les nourrissant pour en tirer du lait, on nous sert du divertissement pour en tirer de l’attention aux messages publicitaires. Toutefois, soyons juste, à l’inverse de la vache, nous restons libres de ne pas entrer dans l’étable. Pour nous y faire entrer, il faut juste que la nourriture ait une odeur suffisamment alléchante…


Qui paie la publicité ?


C'est en voyant apparaitre des publicités pour des quotidiens gratuits qu'on commence à avoir le vertige. Finalement on peut se demander le sens de tout ça. Le coût n’est-il pas énorme pour une simple potentialité d’achat ? L’impact de la publicité n’est-il pas relativement faible en fin de compte ? Toute cette publicité a un coût. Qui finance ce coût ?

On peut envisager deux scénarios. Dans le premier scénario, la publicité provoque une augmentation de la consommation. Ces nouveaux consommateurs séduits financent alors le coût de la publicité. L'entreprise vend plus, produit plus, gagne plus. Il y a croissance. Dans le second scénario, la publicité provoque un transfert de consommateurs d'une marque à une autre. Alors il n'y a pas plus d'argent injecté dans le secteur en question par de nouveaux achats. Le coût de la publicité se répercute donc forcément sur le prix. Le consommateur en vient à financer lui même, sans qu'on lui demande son avis, une bataille commercial entre différents concurrents qui ne font que s’échanger des consommateurs.

J'imagine que la réalité est une combinaison des deux scénarios. Il serait intéressant de savoir en quelles proportions, dans différents secteurs et sur différents produits... Toujours est-il qu'une partie de la publicité se fait forcément au détriment du consommateur, et constitue un simple gaspillage. C’est ce qu’on appelle en langage courant « payer pour la marque ».


L’impact du commercial sur la qualité des contenus des médias


On peut légitimement se demander quel est l'impact de cette économie sur la qualité du contenu médiatique en lui même.

Dans un premier temps, on pourrait penser que les impacts sur les contenus sont ni plus ni moins ceux de tout média commercial. Que le but soit de faire de l’audimat ou de vendre plus, le résultat serait le même, avec ses avantages et ses inconvénients.

En effet derrière la production de contenu, donc le financement, il y a forcément une volonté. La production est dirigée vers un but : informer, éduquer, divertir, exprimer... ou gagner de l’argent. Le but principal visé modifie complètement la nature du produit.

Une activité médiatique commerciale, dont le but est de gagner de l’argent, a ses avantages : elle est soumise à concurrence, et donc cherchera à optimiser ses processus. Elle aura tendance à donner au spectateur ce qu’il recherche, ce qu’il aime. Finalement un spectacle qui ne plait à personne sera naturellement éliminé, ce qui suit une certaine logique de sélection.

Elle a aussi de nombreux inconvénients. Une sorte de nivellement par le bas est nécessaire pour optimiser l'intérêt du maximum de spectateurs : il ne faut gêner personne, n'ennuyer personne. La rationalisation des processus de production en vue de leur optimisation (en termes d'audience) pousse à leur uniformisation, le plus simple étant de divertir, et dans une moindre mesure d’informer.

Enfin les productions de contenu orientés vers un but qui est l'expression, l'information, l'éducation, en viennent à être exclus de la diffusion, sauf si elles parviennent à être suffisamment lisses pour concilier les impératifs d'audiences avec leurs volontés propres.

On constate également l'efficacité des contenus qui prennent parti des faiblesses des spectateurs : racolage, sensationnalisme, divertissement, sexe. C'est de la pure manipulation dans un but lucratif.

Enfin, afin de minimiser les risques commerciaux, on privilégiera le court terme au détriment de l’investissement sur la recherche artistique ou sur l’éducation du spectateur.


L’impact de la publicité sur la qualité des contenus des médias.


Un média financé par la publicité, c’est tout cela mais c’est pire encore. En effet, contrairement à un média simplement commercial, quand le média est financé par la publicité, le contenu devient monnaie d'échange implicite pour acheter notre attention, et ceci a un impact sur sa nature.

Quand le spectateur a payé pour un spectacle, on peut se permettre de prendre du temps pour le préparer, le mettre dans le bain, pour amener un sujet. Même si il n’apprécie pas instantanément, il aura compris avant la fin du spectacle où l’on voulait en venir et n’en sera que plus satisfait. L’important est qu’il soit satisfait à la fin. Quand le média est gratuit, le spectateur peut le regarder ou non, il peut quitter le spectacle à tout moment. Il faut donc le captiver instantanément, et finalement peut importe qu’il soit satisfait à la fin.

Quand le média est payant, le spectateur peut se permettre d’être exigeant. Quand le média est gratuit, il s’en fiche que ce soit nul.

Enfin, quand le média est payant, on n’a pas de contrainte à priori sur le contenu. Quand le média est gratuit, il faut s’accommoder de la publicité. Il ne faut pas gêner les annonceurs. Mieux vaut que le spectateur soit dans un état plutôt réceptif au message publicitaire. Finalement le contenu s’adapte à la publicité pour optimiser encore les gains.

Comme le spectateur est exclu des contributions financières au spectacle, comme il n'est plus client mais fournisseur, il n'a plus son mot à dire ni d’exigence à avoir sur ce qu’on lui donne et c'est donc lui qui en fait les frais en termes de qualité. Quand bien même on perfectionnerait l’outil de mesure qu’est l’audimat en y intégrant la qualité perçue des contenus (et cela suppose que celle-ci améliore la réception du message publicitaire associé, sinon on ne le fera pas), il est difficile d’imaginer qu’il en soit autrement tant que la finalité restera la même. Finalement peu importe que la nourriture soit bonne tant que la vache produit du lait.

Bien sûr tout n’est pas si noir. Il nous reste notre liberté, celle de sélectionner la qualité, de ne pas écouter les sirènes de la publicité. Il reste la liberté des médias, celle de parier sur la qualité et l’investissement, celle de se financer autrement.


Sur l’internet


Nous le disions : c'est sur Internet que l'économie de l'attention explose. Mais Internet est beaucoup moins limités que la télévision. On peut multiplier les canaux, les publics, la diffusion se fait à moindre coût. Par ailleurs l’utilisateur est actif et cherche lui-même le contenu. C'est donc une formidable opportunité contre l'uniformisation des contenus.

Espérons-le du moins, car il est évident que les recettes publicitaires vont se concentrer là où est l'audience, et que les productions vont s'adapter à ce système. Les budgets publicitaires ne sont pas infinis et la production de contenu a un coût également. A noter que certains travers des autres médias, le racolage par exemple, n’ont pas de raison de disparaître sur internet.

Ceci nous amène naturellement au problème de la visibilité. Etre visible sur internet n’est pas donné à tout le monde. Pour être visible, il faut aussi de l’argent, car il faut faire… de la pub ! Le danger est donc de se retrouver avec du contenu de qualité faible plutôt racoleur mais à forte visibilité, et du contenu de bonne qualité noyé dans la masse d’information. L’antidote à ce phénomène est le côté communautaire d’Internet qui devrait permettre de promouvoir par le réseau le contenu de qualité. Encore faut-il pouvoir sélectionner, trier, qualifier, rendre accessible l’information. C’est tout l’enjeu d’internet aujourd’hui.

Internet reste donc une zone de liberté et d’expérimentation où d’autres types d’échanges peuvent naître et exister.


L’avenir du contenu médiatique


Le contenu médiatique est aujourd'hui infiniment copiable et transmissible, et est donc virtuellement gratuit. C'est pour ça qu'il n'est pas viable économiquement, et c'est le casse-tête sur lequel buttent en particulier les producteurs de musique. Mais le contenu médiatique est également à ce jour la seule monnaie d'échange qui puisse acheter l'attention dont raffolent les annonceurs.

J'imagine donc que le seul moyen de rendre le contenu médiatique viable économiquement, c'est de le faire fusionner avec la publicité. Finalement la publicité est le contenu, le contenu est une publicité. Une première étape de ce phénomène existe déjà sous la forme de contenu vidéo (le « marketing virale ») ou encore de jeux vidéo associés à des marques.

Comme ce sont lesgrandes marques les plus intéressés par la production de contenu, j'imagine que dans un avenir proche ils se feront mécènes, peut être via des producteurs intermédiaires, et que de nombreux groupes de musique et d’artiste seront estampillé "Coca Cola" ou "Pepsi", "Apple" ou "Sony", produisant ainsi en même temps que leur art la valeur ajouté de leur marque. Alors plus que jamais les marques seront des univers complets, plus seulement des produits.

Le problème de l’indépendance et du financement se posera donc de plus en plus, pour les artistes comme pour les journalistes, qui bien que producteur de contenu infiniment copiable, ne peuvent se permettre d’être dépendant d’un pouvoir commercial. Il faudra réinventer d’autres moyens de rétributions des artistes et journalistes par la communauté, afin de garantir l’indépendance, la qualité et la satisfaction du public.

Le même problème se posera d'ailleurs d'ici quelques années pour les écrivains, quand le papier électronique sortira des laboratoires pour être diffusés à grande échelle. Il se pose également déjà pour les créateurs de logiciels. Les logiciels sont aussi des contenus infiniement copiables. Il serait certainement de bon ton de s'inspirer des modèles du logiciel libre et de les étendre à tous les métiers de la création.


Conclusion


La publicité, de simple nécessité de se faire connaître, est aujourd'hui devenue un monstre au point de vampiriser le contenu médiatique. Alors que celui-ci, suivant l'évolution des technologies, devient virtuellement gratuit, il devient urgent d’inventer de nouveaux moyens alternatifs de rétribution des créateurs par la communauté.

Commentaires

Anonyme a dit…
Blog vraiment intéressant!

bonne continuation


syndiqué sur www.lacrise.be

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