Une petite théorie politique

Pour changer un peu de la philo des sciences, et suite à ces élections qui semblent n'être que le nouvel épisode d'un éternel recommencement, je vous propose mes deux francs six sous de théorie politique.

Alors non, je ne suis pas spécialiste. D'habitude je m'intéresse plutôt à la physique quantique. Vous savez, cette théorie qui donne lieu à tant d'extrapolations fumeuses... Enfin, puisqu'on en n'est pas à une extrapolation fumeuse près, je me suis dit que peut-être on pouvait faire une vague analogie entre la physique quantique et le paysage politique de nos démocraties.

L'idée

Inutile de dire que l'analogie est à prendre avec d'énormes pincettes. C'est juste une image. Mais voilà l'idée : comme certains le savent sans doute, en physique quantique, il existe une incertitude fondamentale entre certaines grandeurs, par exemple la vitesse et la position d'une particule. Mieux on connaît sa vitesse, moins sa position est précise, et inversement.

Et si c'était la même chose en politique ?

Et si, par exemple, mieux on connaissait la tendance sociale d'un gouvernement en exercice (plutôt tolérante, ou plutôt sécuritaire), moins sa tendance économique (libérale ou égalitaire) devenait claire ? Et si, à l'inverse, mieux on connaissait sa tendance économique, par exemple clairement libérale, plus la position du gouvernement concernant la défense des libertés sociales ou les questions de sécurité devenait floue ? (A ce niveau toute ressemblance avec un gouvernement actuellement en place serait bien sûr purement fortuite.)

Toujours est-il que si c'est le cas, on devrait pouvoir placer les différentes tendances politiques sur un cercle (que les spécialistes de la physique quantique me pardonnent cette approximation). Le positionnement politique serait une affaire de direction sur ce cercle, sachant qu'on ne peut tout avoir : si on choisit une direction par exemple libérale, moins la composante sociale sera prononcée.

Voilà ce que ça pourrait donner :

Quelques argument

Histoire de dire que tout ça n'est pas qu'une vague idée sans fondement, je propose de justifier un peu cette théorie.

Il me semble qu'il existe une zone de flou entre liberté/contrôle économique et liberté/contrôle social : certains types de comportement relèvent plus ou moins de la liberté économique et plus ou moins de la liberté des mœurs. Par exemple, la vente de drogue. Mais à l'inverse il peut exister des zones où ces deux libertés s'opposent, où par exemple favoriser la diversité culturelle et donc l'épanouissement des libertés sociales demande certaines contraintes économiques, ou au contraire favoriser la liberté d'entreprendre exige une certaine forme de contrôle social.

Du fait de ces aspects contradictoires, un libéral au sens économique est toujours obligé d'accepter une certaine liberté des mœurs, là où les libertés se recoupent. Mais le parfait libéral au sens économique a aussi besoin de sécurité, pour que l'économie libérale puisse continuer de fonctionner correctement sans que les inégalités croissantes ne fassent exploser la machine. Il est donc obligé à un certain compromis : il se voit balancé entre l'idéal libertarien (liberté des mœurs et libéralisme économique) et l'idéal conservateur (contrôle social et libéralisme économique), tous deux intenables.

On peut faire à peu près le même raisonnement pour les quatre points cardinaux du schéma ci-dessus :

  • Celui qui prône la tolérance sociale se voit obligé à une certaine tolérance économique, faute de contradiction, mais il a besoin également d'égalité économique pour que les libertés sociales puissent s'exprimer. Quand on a pas un sou, quand on est exploité ou quand on a pas accès à la culture, on n'est pas libre de s'épanouir. Il balance entre idéal libertaire (contrôle collectif de l'économie et liberté des mœurs) et libértarien.
  • Celui qui prône le contrôle de l'économie au service du peuple se voit d'emblée forcé de contrôler également certaines mœurs qui pourraient s'apparenter à de la prédation économique. Mais il a aussi besoin de tolérance sociale pour qu'un contrôle harmonieux de l'économie puisse avoir lieu. Il balance entre utopie libertaire et utopie autoritaire (un contrôle des mœurs et de l'économie).
  • Enfin celui qui privilégie la sécurité se voit obliger d'opérer une certaine forme de contrôle économique en interdisant les activités susceptibles de nuire à cette sécurité, mais il a aussi besoin d'une dose de liberté économique pour que la sécurité puisse se maintenir sans tension excessive. Il balance entre idéal autoritaire et conservateur.

Une petite analyse

Voilà l'idée. Pour terminer une petite analyse.

Vous n'aurez pas manqué de remarquer que les deux plus gros partis de France (et c'est le cas dans la plupart des démocraties) sont en haut du schéma : vers le libéralisme économique. Nous vivons une époque libérale, à tel point que les partis se situant en bas du schéma sont régulièrement qualifiés "d'extrêmes". Pourtant il n'y a pas de raison a priori que la population opte pour une certaine direction sur le cercle plutôt qu'une autre, ni de qualifier certaines directions de plus extrêmes que les autres (même si j'avoue avoir tendance à qualifier ainsi la direction "sécurité"...).

Peut-être que ceci s'explique par des facteurs externes au débat politique : des rapports de force économiques qui tendent à polariser le jeu politique vers le libéralisme économique, ce qui amène une pseudo-alternance jouant principalement sur le paramètre libre : tolérance sociale ou sécurité. Tout ceci nous laisse penser qu'on a encore le choix, et quand on commence à douter, quand les questions économiques deviennent plus pressantes, il reste un dernier repoussoir : les partis sécuritaires et nationalistes, qui constituent, parmi les deux quadrants restant, celui qui est le moins opposé a priori au libéralisme économique.

A croire que le système politique démocratique, sous l'effet de contraintes externes, s'est stabilisé sur un fonctionnement optimale à trois composantes principales (deux légitimes et un repoussoir) qui vise à intégrer le choix démocratique tout en favorisant systématiquement le libéralisme économique.

Voilà ça vaut ce que ça vaut. D'aucun jugeront ça simpliste (oui, la société est bien plus complexe que tout ce qu'on pourra jamais représenter sur un graphe à deux axes), mais est-ce que ça ne donne pas lieu à des analyses politiques plus intéressantes que le traditionnel clivage gauche-droite ?

Commentaires

Dr. Goulu a dit…
Mais c'est une excellente idée. La preuve : elle n'est pas nouvelle ☺ il existe de nombreuses analyses de positionnement politique à. 2 dimensions dans plusieurs pays. voir http://www.drgoulu.com/2007/08/24/politique-a-2-dimensions
Le Pape a dit…
Le front de gauche n'est libertaire que dans le discours, car dans le monde réel l'utopie communiste impose la quadruple peine: sécuritaire, autoritaire et anti libérale.
Quentin Ruyant a dit…
Par "quadruple peine" vous êtes simplement en train de designer la zone en bas à droite du graphe : sécuritaire et anti-libérale. Même si je ne me situe pas dans cette zone, il n'y a aucune raison d'y voir une "quadruple peine". Mais surtout il ne faut pas confondre front de gauche et utopie communiste. Et il ne faut pas confondre utopie communiste et régime stalinien. Comme si je vous disais : l'UMP c'est l'utopie conservatrice, et dans le réel, l'utopie conservatrice c'est le nazisme... Avouez que c'est un peu léger. Ce genre d'amalgame discrédite toute alternative politique au libéralisme économique alors que précisément mon propos était de montrer que l'autoritarisme en politique est plutôt indépendant de cette question.
Monsieur, un conseil si je peux me permettre: laissez la politique aux politiciens et restez dans le domaine de la philosophie. La tentation est grande et l'ego intellectuel des philosophes appel toujours d'entrer dans le domaine politique mais ça a toujours resté stérile dans l'histoire.
Quentin Ruyant a dit…
J'espère que vous plaisantez. Vous n' ignorez pas que les sciences politiques trouvent leur origine dans la philosophie politique, que la politique a toujours été un thème central en philosophie (puisque la question politique, entre éthique et sciences sociales, est éminemment philosophique), et qu'encore aujourd'hui il s'agit de champs de recherche fructueux en interaction constante. Je ne vois pas ce que l'ego vient faire la dedans.

Bien sûr vous pouvez me reprocher de ne pas être spécialiste de philosophie politique, mais il s'agit d'un blog personnel où je me permet des incursions de ce type, dans prétentions particulières.
Sera peut être mon ignorance. Pourriez vous me citez des exemples de philosophes politiques d'aujourd'hui qui contribuent aux débats politiques actuels?
Quentin Ruyant a dit…
Je ne suis pas assez au fait pour vous citer les auteurs contemporains les plus influents, mais on peut dire que le paradigme dominant aujourd'hui est issu de Rawls.

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