La droite et la gauche, l'individu et la société (2/3)


2 - L'individu et la société

A droite, vers la négation du collectif

Nous constatons donc que ce que l'on pense du rapport de l'individu au collectif est le point central de toute idéologie politique. Ce point détermine la vision que l'on se fait de la responsabilité individuelle, de la liberté individuelle, de l'égalité, et donc détermine les champs économiques, juridiques, politiques et sociaux. Devient-on clochard (chomeur, délinquant) parcequ'on est incapable de s'en sortir ? Ou bien est on incapable de s'en sortir parce qu'on est dans la situation social du clochard (du chomeur, du délinquant) ? Est-ce l'individu qui fait la société ou la société qui fait l'individu ?

Les approches libéral (au sens économique) ou utilitaristes ne voientt en la société qu'un cumul d'individu, et nie la nécessité ou l'importance du collectif, si ce n'est comme étant à l'initiative des individus. L'action collective n'est que la somme des actions individuelles, et le bien être collectif la somme des bien-être individuels. Le politique n'a pour rôle que de favoriser l'avènement de l'individu, il ne sert qu'à faire respecter les règles constituant le cadre de ce dernier sans n'apporter aucune entrave, et se trouve donc nécessairement en retrait.

Les conceptions plus à droite sont la déclinaison de cette approche sur un mode communautaire ou patriotique. C'est encore le mérite qui importe, mais il pourra s'agir d'un mérite naturel attaché à une communauté de sang. La liberté n'a donc pas tant d'importance face à la préservation ou à la promotion d'un ordre fondé sur la communauté. Le politique, dans une conception d'extrême droite, pourra jouer un rôle de protection de ces "droits naturels". (On voit que l'obsession génétique du gouvernement actuel, dans l'affaire "Jean Sarkozy" ou en rapport à l'immigration, est une marque très prononcée à droite).

Mais le point commun de ces approches est dans la négation des déterminismes sociaux et des mécanismes collectifs, réduits à des conséquences d'actions individuelles, à la prépondérance du mérite, que celui-ci soit inné ou acquis, et par conséquent dans le dénigrement de toute lutte sociale allant à l'encontre d'un ordre supposé naturel ou juste.

A gauche, vers la négation de l'individu

L'approche socialiste n'est pas si radicale, et tout en plaçant l'individu au centre de l'économie et au centre de la vie politique, elle admet l'existence de déterminismes sociaux et la nécessité des régulations collectives.

Plus on se déplacera vers la gauche des idées politiques, et plus le collectif prendra le pas sur l'individuel. A l'extrême, nous en venons à une conception qui réduit l'individu aux multiples mécanismes sociaux qui le déterminent. Dans cette conception chacun n'est qu'un pion jouant son rôle. Le travailleur n'a aucun pouvoir de décision sur le marché et se fait exploiter. Le patron ne fait que jouer son rôle en optimisant les profits. Il délocalise parce que c'est ce qu'il faut faire dans sa position, et s'il n'était pas là, lui on son concurrent le ferait à sa place. Les pouvoirs politiques, industriel, financiers et médiatiques, par des mécanismes similaires, tendent à conserver leur position dominante de diverses façons (éducation privée, ...). A l'image des expériences de Milgram, dans laquelle le premier quidam venu placé sous une autorité factice accepte de torturer son prochain, la responsabilité dans la société est diluée au profit de mécanismes que personne ne contrôle. Dans une telle vision seul le politique (ou seule l'action collective si le milieu politique est corrompu) a le pouvoir de s'opposer à cet ordre des choses, soit en régulant le système, soit en instituant un nouvel ordre plus juste fondé sur la collectivité.

La doctrine libérale

Il est étonnant de constater que ce domaine central de la politique qu'est le rapport de l'individu à la société et au collectif, dont nous avons présenté ici les différentes approches, soit finalement laissé au bon jugement de chacun et qu'il n'y ait pas de réel consensus. Les réponses restent essentiellement subjectives et toujours débattues. Pourrait-il exister une approche réellement rationnelle, scientifique pour nous renseigner sur ce qu'il en est vraiment ?

L'idéologie libérale a voulu jouer ce rôle en affirmant que la société est la somme des actions individuels. Elle s'est habillé d'un semblant de rationalisme scientifique pour s'affirmer comme la seule voie possible et forcer le consensus. Seulement cette approche, si elle semble naïvement tenir du bon sens (en effet, ce sont évidemment les actions individuels qui déterminent l'évolution de la société), n'est pas empirique et n'a pas de base sociologique. Elle est réductionniste et simpliste dans son modèle. D'abord parce qu'elle ne prend pas en compte d'éventuels phénomènes complexes (pourtant l'homme est sans doute ce qu'il y a de plus complexe dans la nature), des effets de groupes. Les actions individuelles y sont supposées "pures", émanant uniquement de la volonté et affranchis de toute influence. Ensuite parce que pour être libre il faut être éclairé, éduqué. Or c'est la société qui nous éduque, qui nous arrache à notre condition animale en nous apprenant à parler, à réfléchir, en nous offrant une organisation qui nous précède et qui constitue le cadre essentiel de nos existence : sans la société nous ne sommes rien. Paradoxalement, seul le collectif est capable de faire émerger l'individu libre. Enfin elle ne s'intéresse qu'au marché. Or le marché n'est pas la démocratie des hommes mais celle de l'argent.

Mais le modèle opposé qui voudrait nier toute possibilité d'action de l'individu est également trompeur, en particulier quand il voit en la société un ordre statique et immuable, alors qu'elle est en évolution permanente. La réalité se situe donc entre les deux. Il s'agit d'une subtile combinaison des deux visions, et, comme nous allons le voir, la physique du chaos est l'outil théorique qui peut nous permettre d'appréhender cette combinaison.

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