La droite et la gauche, l'individu et la société (1/3)
1 - La droite et la gauche
Une définition
Deleuze expliquait ainsi dans une interview la différence entre être "de gauche" et "de droite" :
"C'est, d'abord, une affaire de perception. Ne pas être de gauche, c'est quoi ? Ne pas être de gauche, c'est un peu comme une adresse postale : partir de soi… la rue où on est, la ville, le pays, les autres pays, de plus en plus loin… On commence par soi et, dans la mesure où l'on est privilégié et qu'on vit dans un pays riche, on se demande : « comment faire pour que la situation dure ? “. On sent bien qu'il y a des dangers, que ça va pas durer, tout ça, que c'est trop dément… mais comment faire pour que ça dure. On se dit : les chinois, ils sont loin mais comment faire pour que l'Europe dure encore, etc. Être de gauche, c'est l'inverse. C'est percevoir… On dit que les japonais ne perçoivent pas comme nous. Il perçoivent d'abord le pourtour. Alors, ils diraient : le monde, l'Europe, la France, la rue de Bizerte, moi. C'est un phénomène de perception. On perçoit d'abord l'horizon. On perçoit à l'horizon."A la lumière de cette explication, résumons grossièrement ce qui différencie la droite de la gauche dans l'imaginaire collectif :
- A droite tout ce qui part de moi : l'individualisme, le mérite, la compétition, le pragmatisme, la sécurité sont de droite,
- A gauche tout ce qui vient de l'horizon : le collectivisme, la solidarité, la collaboration, l'idéalisme, la tolérance sont de gauche...
Ceci étant dit il va de soi que nous sommes tous sensibles en certaines mesures à ces deux types de perceptions.
Pourquoi sommes nous dirigés par la droite ?
Remarquons que nous sommes souvent dirigé par la droite au niveau nationale (presque tous les présidents de la Vème république), tandis que la plupart des mairies de grandes villes sont à gauche.
Il est possible que nous soyons plus enclin à avoir une pensée "de gauche", accès sur la solidarité, au niveau local qu'au niveau global. Nous sommes d'autant plus volontiers solidaires de nos voisins qu'ils sont proches, géographiquement et culturellement (voire socialement). Nous voyons d'autant mieux "l'horizon" qu'il n'est pas trop loin. C'est pour cette même raison que l'idée de compétitivité entre différentes villes au sein d'un pays semble moins faire d'émules que l'idée de compétitivité entre différents pays sur le plan international.
Voilà pourquoi nous serions plus enclin à voter à droite au niveau national et à gauche au niveau régional ou en deça. Un peu comme si l'électeur, quelque peu shyzophrène, se disait, quand il s'agit de choisir le maire des habitants sa grande ville, "soyons solidaire", et quand il s'agit de choisir le président de tous les français : "mettons au boulot tous ces fainéants", au niveau local "coopérons avec nos voisins" et au niveau national "soyons compétitifs"... Il est possible que si l'Europe existait réellement sur le plan politique et formait une unité plus importante que les nations, nous soyons plus enclin à voter à droite au niveau européen mais à gauche au niveau national, simplement parce que la compétition entre pays européens, ou encore des thèmes comme l'immigration, feraient moins sens.
Il existe un autre type d'explication qui tient plus au milieu de la politique. Nous pouvons penser que la volonté de pouvoir que l'on suppose importante chez l'homme politique, et ce d'autant plus que l'échelle est importante, est plutôt compatible avec la mentalité "de droite", individualiste, méritante. Finalement pour réussir à devenir président, il faudrait une volonté de réussir qu'on trouverait plus difficilement chez quelqu'un privilégiant le collectif sur l'individuel... Bien sûr l'homme politique peut être aussi mû par la volonté idéaliste de changer les chose, mais ce n'est qu'en période trouble qu'une telle volonté peut remporter l'adhésion du peuple, tandis que la volonté personnelle de réussir s'accommode de tout type de période puisqu'elle est avant tout pragmatique. Pour être honnête, avouons que l'homme politique qui réussit doit sans doute posséder en plus de cette volonté individualiste de réussir un minimum de volonté collectiviste, inhérente à son métier : être politique, c'est gérer le collectif... Tout au moins espérons-le.
Politique et classe sociale
Il existe sans doutes d'autres explications sociologiques à cette prépondérance de la droite au niveau national : le vieillissement de la population, le rôle de "prescripteur de l'opinon" joué par les classes moyennes supérieures, l'influence des milieux financiers et des classes sociales les plus élevées et puissantes sur le milieu politique ou sur les grands médias au niveau nationale... Autrement dit, pour résumer grossièrement, l'influence des vieux et des riches.
En effet il est notoire que les personnes âgées sont souvent plus à droite que les jeunes. Est-ce une question de génération ? Ou l'expérience rendrait-elle individualiste ? L'idéalisme s'éroderait-il avec le temps ?
On comprends par contre plus aisément que les classes supérieures soient généralement plus portées à droite. Celui qui possède plus que l'autre cherchera naturellement à justifier ceci par son propre mérite plutôt que par la chance ou le simple fait d'être bien né. Il occultera les mécanismes sociaux et mettra en avant les actions individuelles (voire la génétique) comme étant à l'origine d'une situation sociale, qu'il serait vain et injuste de chercher à modifier. A l'inverse celui qui possède moins aura plus facilement tendance à mettre en cause "le système" pour justifier sa pauvreté, et non son incompétence.
Dans les deux cas il s'agit d'un réflexe de protection presque inconscient : chacun à tendance à adopter la position intellectuelle qui lui est la plus confortable, la plus valorisante pour lui. Mais le confort intellectuel est souvent l'ennemi de la vérité...
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