Le réalisme est-il du côté du bon sens ?

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Le réaliste affirme que les théories et hypothèses scientifiques sont pour la plupart vraies, au moins en approximation, et que les objets postulés par les scientifiques, les protons, les gènes et les cellules existent réellement. Si le philosophe non-réaliste nie tout ça, il contredit directement les scientifiques, n’est-ce pas ? Il est anti-science ? En quoi un philosophe serait-il légitime pour contredire ce que disent les scientifiques sans même prendre la peine de faire des expériences ? N’est-ce pas extrêmement prétentieux ?

En fait c’est un peu plus compliqué que ça. Disons que le diable est dans les détails, et en particulier dans la compréhension de “exister”, “vrai” et “réaliste”. Je vais examiner ces trois termes tour à tour.

Je souhaite défendre ici que les philosophes réalistes ont opéré, au tournant des années 80, une appropriation de ces termes qui leur ont permis d’asseoir le réalisme métaphysique sur le sens commun et de doter leur projet métaphysique du prestige généralement associé aux sciences.

Pour ma part, je considère que les projets métaphysiques qu’ils mènent, quel que soit leur intérêt par ailleurs, ne sont pas scientifiques, et qu’il est important de marquer la différence entre science et métaphysique. C’est principalement pour cette raison que je me revendique non-réaliste : non pas parce que je serais anti-science, mais parce que, fidèle en cela à une certaine tradition empiriste, je suis sceptique vis-à-vis de la métaphysique.

“Exister”

Je suis assis sur une chaise. La chaise existe-t-elle ? Au sens courant du terme, c’est indéniable. Dire “cette chaise n’existe pas” dans un contexte ordinaire reviendrait à dire que c’est une illusion d’optique, un hologramme ou une image de synthèse peut-être, mais je sais que ce n’est pas le cas : je peux la toucher, la déplacer. Cette chaise existe, donc.

Pourtant la catégorie d’objet “chaise” n’est pas une catégorie naturelle : ce n’est pas une classe d’objet qui nous est donnée par la nature. Ce qui différencie une chaise d’une non-chaise est en partie conventionnel, certains objets sont difficiles à classer, et je ne serais pas surpris que ce que l’on appelle banc, tabouret, fauteuil, chaise longue ou transat en français soient classifiés suivant des regroupements légèrement distincts dans d’autres langues (je sais sur c’est le cas de “bol” et “assiette creuse” par exemple).

Mettez vous un instant dans la tête d’un physicaliste réductionniste pur et dur (“éliminativiste”) : la seule chose qui existe vraiment dans le monde, ce sont des particules microscopiques en interaction. Diriez-vous que la chaise existe ? Vous pourriez bien le nier : cet objet n’a aucun contour précis à l’échelle microscopique qui permettrait de l’identifier à un groupe de particules en particulier, et même si c’était le cas, ce groupe de particules serait entièrement arbitraire, sans aucune règle précise pour lui associer la catégorie “chaise” hors contexte. En fin de compte, pour le réductionniste pur et dur, la chaise est une “fiction utile”, voire une “construction sociale”, pour employer une façon de parler plus controversée.

Personne n’est tenu d’être réductionniste en ce sens, mais c’est une position philosophique a priori légitime, non ? Donc il est légitime, sur le plan philosophique, de dire que les chaises n’existent pas réellement ou absolument, que ce sont des vues de l’esprit.

Est-ce à dire que le réductionniste devrait reprendre nos interlocuteurs à chaque fois qu’ils parlent de chaises ? Bien sûr que non ! En fait, il semble que ces arguments emploient le terme “exister” en un sens beaucoup plus exigeant que nous ne le faisons au quotidien. Un sens métaphysique : pour exister, il faut constituer un objet dont le découpage est parfaitement naturel, indépendant des représentations et catégories arbitraires des êtres humains. Un objet existe réellement s’il correspond au moins approximativement à un tel découpage. Différencions donc deux sens de “existence” : l’existence ordinaire et l’existence métaphysique.

“Vrai”

EB1911 Dandelion (Taraxacum officinale)

Les pissenlits sont jaunes. C’est vrai, n’est-ce pas ? Au sens courant du terme oui, c’est indéniable. Peut-être pas tous les pissenlits, certains n'ont pas de fleur, et pas tout le pissenlit, seulement ses pétales. Par ailleurs, pissenlit est un nom vernaculaire. Enfin, la distinction entre vert et jaune s’avère assez sensible à la langue ou au contexte social (apparemment certains considèrent que les balles de tennis sont vertes, d’autres qu’elles sont jaunes). Mais ne chipotons pas, la couleur des pissenlits est franchement dans la catégorie “jaune”. Disons donc que les pétales des pissenlits “véritables” sont typiquement jaunes. Dans un contexte ordinaire, le nier reviendrait à postuler une espèce d’illusion d’optique massive qui toucherait la couleur des pissenlits en particulier, quelque chose de très improbable.

Pourtant, la couleur “jaune” ne correspond pas à une propriété naturelle des objets. Un mélange de lumière verte et rouge nous donnera du jaune, mais c’est un spectre lumineux très different d’un spectre monochromatique jaune situé quelque part entre le vert et le rouge. La seule raison de mettre les deux spectres dans la même catégorie, c’est que dans des conditions normales, nos systèmes perceptifs répondent typiquement de la même façon aux deux. Mais alors tout ça est relatif à notre physiologie.

Un physicaliste pur et dur pourrait défendre que les pissenlits ne sont pas vraiment jaunes : les couleurs sont des illusions cognitive, une construction de notre cerveau. Donc “les pissenlits sont jaunes” est faux, à strictement parler, car les couleurs n’existent pas en dehors de nos têtes. C’est juste une façon utile de parler, étant donné que nos systèmes visuels sont semblables. Il y a sûrement des objections à ce type de vue, mais au moins c’est une position philosophique légitime, non ?

Est-ce à dire qu’un tel physicaliste devrait reprendre nos interlocuteurs chaque fois qu’ils attribuent des couleurs aux objets ? Bien sûr que non ! C’est juste que le physicaliste emploie “vrai” en un sens philosophique particulier : une correspondance entre nos représentations et la réalité qui ne dépendrait pas de notre constitution d’être humain, soit une notion de vérité beaucoup plus exigeante que la façon commune d’employer la locution “c’est vrai”, selon laquelle une influence du contexte ou une forme de relativité aux êtres humains n’est pas bien grave.

On pourrait donc distinguer la vérité au sens ordinaire et la vérité au sens métaphysique, la première correspondant, disons, à l’absence de doutes légitimes pour accepter une proposition dans un contexte donné, et la dernière étant une correspondance directe à la nature fondamentale de la réalité 

Et la science?

Les cellules biologiques, les gènes, les protéines, les atomes, les électrons existent-ils ? L’entropie, la température ou les forces centrifuges existent-elles ? Nos théories à leur sujet sont-elles vraies ? Au sens commun de “exister” et “vrai”, ça me semble indéniable. Mais au sens métaphysique ?   C’est sujet à débat. Un réductionniste pur et dur pourrait défendre que seuls les électrons existent dans cette liste, ou peut-être aussi les atomes et les protéines, mais pas les cellules et les gènes parce que leur composition chimique et leur découpage varie d’un contexte à l’autre et qu’il est impossible de les définir en employant uniquement le vocabulaire de la physique. Ce sont des entités fonctionnelles plutôt que réelles. Un physicaliste plus tolérant (“non réductionniste”) pourrait affirmer que tout ça existe y compris au sens métaphysique, par exemple parce que ces entités correspondent à des “motifs réels” de la nature, une manière non arbitraire de découper fonctionnellement le monde. Mais peut-être sera-t-il moins affirmatif à propos des forces centrifuges ou de l’entropie. Un non-réaliste pourrait rester sceptique : peut-être que ces “motifs fonctionnels” ne sont pas si métaphysiquement absolus, plus contextuels qu’on le pense, plutôt des “fictions utiles” donc, même si leur stabilité est bien supérieur à celle de catégories comme "jaune" ou "chaise". Il serait d’accord avec le réductionniste à propos des gènes, mais dirait qu’il en va de même des électrons, car on peut douter que notre physique actuelle soit le fin mot de l’histoire.

Chacune de ces positions a des implications pour la philosophie, en termes de programme de recherche. Pour le non-réaliste, par exemple, chercher à déterminer la nature profonde de la réalité au-delà de ce qu'en disent les scientifiques n’est pas un projet qui vaut la peine d’être poursuivi. Il est bien plus intéressant d’examiner la manière dont les scientifiques construisent leurs représentations. Pour le métaphysicien, un tel examen n’a qu’une importance marginale, puisqu’au final ces représentations sont au moins approximativement vraies métaphysiquement parlant.

Peu importe où vous vous situez dans ce débat philosophique. Mon point est le suivant : aucun de ces philosophes n’ira dire à un scientifique qui vient de publier un nouveau résultat “c’est faux ! Vous nous racontez des histoires !”. Pourquoi ? Simplement parce que les scientifiques ne sont pas des philosophes, et donc il n’y a aucune raison de charger leur discours de présupposés métaphysiques, pas plus qu’il n’y a de raison de nier que je suis assis sur une chaise rouge quand c’est le cas. Quand un biologiste dit que les gènes existent, c’est vrai, au sens ordinaire de “vrai”, ils existent, au sens ordinaire de “exister”. Les représentations des mécanismes biologiques produites par les biologistes sont acceptables au-delà de tout doute raisonnable. Là-dessus, les seuls qui ne sont pas d’accord sont ceux qui refusent d’accorder le moindre crédit aux sciences, et je m’avance peu en disant qu’on n’en trouve quasiment aucun dans les facultés de philosophie.

Ce qui est sujet à débat, c’est si on peut aller au-delà de cette notion ordinaire (et si l’on peut préciser un peu ce qu’elle recouvre, et ce que ça implique pour la notion d'objectivité). Et c’est un débat purement philosophique, non scientifique, qui n’a aucune implication sur la “bonne” manière de faire de la science, mais qui en a, par contre, sur la “bonne” manière de faire de la philosophie.

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“Réaliste”

Alors, me direz-vous, si presque tout le monde est prêt à dire que les théories sont vraies, au moins au sens ordinaire du terme, alors presque tout le monde est réaliste ? Tout comme on peut défendre qu’il y a deux acceptions de “vrai” ou de “exister”, on pourrait dire qu’il y a deux acceptions de “réaliste” : l’une suivant laquelle les théories scientifiques sont vraies et les entités postulées existent au sens ordinaire des termes, et l’autre au sens métaphysique. Il existerait donc trois positionnements possibles vis-à-vis de l’interprétation des théories scientifiques : la position anti-science, largement minoritaire, la position réaliste pragmatique et la position réaliste métaphysique (bien sûr c’est une simplification puisqu’on peut décliner chacune d’elles).

Seulement c’est un peu plus compliqué. Le problème, c’est que l’existence et la vérité ont acquis une connotation technique en philosophie qui correspond à ce que j’ai qualifié de compréhension métaphysique des termes.

Ainsi le réaliste métaphysique affirme typiquement que la vérité est une affaire de correspondance à une réalité indépendante de nos représentations, et que l’existence a à voir avec la référence à des objets et classes naturelles, suivant un découpage qui préexiste à nos activités. Le réalisme ainsi compris est devenu une position dominante au cours des années 1970-80 en philosophie analytique, ce notamment sous l’impulsion d’arguments de philosophie du langage (ceux de Kripke). Il s’est construit en quelque sorte sur les ruines des projets empiristes ou positivistes de la première moitié du 20e siècle. Ceux-là entretenaient des conceptions différentes de l’existence et de la vérité (la relativité de l’ontologie de Quine, par exemple, ou le vérificationnisme de Ayer). Mais ces conceptions sont passées de mode. Parfois pour de bonnes raisons. Et ce sont les conceptions métaphysiques qui ont pris le dessus. Peut-être pas pour de si bonnes raisons.

Aujourd’hui, réaliste scientifique et réaliste métaphysique sont à peu près synonymes. Mais le fait que cela relève d’une connotation technique distincte de l’usage ordinaire est souvent passé sous silence par les réalistes métaphysiques, voire explicitement nié : beaucoup de réalistes métaphysiques pensent que leur conception de la vérité et de l’existence est la seule qui vaille, la seule qui soit vraiment intuitive, et que le langage ordinaire est seulement imprécis en la matière.

Il résulte de cette façon de voir les choses que le réalisme métaphysique n’est rien de plus que du bon sens.

Le but de la science

Si l’on pense que les scientifiques utilisent “vrai” et “existe” dans leur sens métaphysique, on pense que la science, c’est finalement de la métaphysique, qu’il n’y a pas de frontière marquée entre les deux : le but de l’un comme de l’autre est de dévoiler la nature fondamentale de la réalité.

Le métaphysicien a tout intérêt à brouiller la frontière entre métaphysique et science. Quoi de mieux pour défendre la légitimité de son projet philosophique, voire pour profiter d’un peu du prestige qu’ont acquis les sciences par leurs succès empiriques (sans pour autant n’avoir participé aucunement à ces succès) que de dire que lui et les scientifiques font à peu près la même chose ? Ce faisant, il relègue au second plan (peut-être involontairement, soyons charitables) les projets alternatifs, plus sceptiques envers la métaphysique et impliquant une division plus tranchée entre elle et la science. Il risque de faire passer malgré lui ces projets sceptiques pour de l’anti-science. Mais de toute façon le métaphysicien ne croit pas beaucoup à ces projets, alors ce n’est pas bien grave.

Si au contraire on pense, comme moi, que les scientifiques utilisent ces termes de “vrai” et “existe” dans un sens ordinaire beaucoup moins chargé, alors il y a une différence importante entre science et métaphysique. Le but de la science n’est pas de produire des théories métaphysiquement vraies, mais seulement des théories suffisamment robustes pour être acceptables par tous. Le but de la métaphysique pure, c’est autre chose : “interpréter” les théories, leur attribuer une ontologie, se questionner à partir d'elles sur la nature fondamentale de la réalité, essayer d'obtenir des vérités absolues, non pas sur tel ou tel type de phénomène bien identifié, mais sur l'univers dans son ensemble. Ce n'est pas seulement rendre les théories scientifiques plus précises, mais opérer ce passage de la vérité ordinaire à la vérité absolue, à supposer qu'elle existe, donc ajouter quelque chose (une couche de vernis ontologique) aux théories.

C’est une activité qui n’est pas particulièrement connectée à la confrontation empirique, contrairement à l’activité des scientifiques, et dont on peut questionner la légitimité ou la fructuosité. En tout cas, de ce point de vue, les conclusions métaphysiques n’ont aucune incidence directe sur la validité des résultats scientifiques, même si elles impliquent la non existence de telle ou telle entité postulée par les scientifiques, puisqu’elles emploient un sens technique, philosophique, de “existence”.

L’approche pragmatique

Je ne vais pas m’étendre ici sur les raisons de préférer la seconde approche. En un mot, elles ont à voir avec la façon dont les scientifiques identifient leurs théories, quand ils disent que deux théories sont équivalentes (et donc qu’il est futile de défendre l’une plutôt que l’autre), avec l'usage des idéalisations, et plus généralement avec les normes qui régulent leur activité : elles impliquent, selon moi (et selon d’autres), que le but de la science en tant qu’institution n’est pas le même que le but de la métaphysique en tant que branche de la philosophie.

Je ne dirais pas que la métaphysique est inutile. Elle peut jouer un rôle heuristique pour l'invention de nouvelles théories. Elle peut participer à clarifier les concepts. Mais à mon sens, ce rôle est seulement heuristique ou clarificateur, et c’est un plutôt un effet secondaire. Pas besoin de croire qu’on court après la vérité pour faire la même chose (les philosophies instrumentalistes ont elles aussi participé au développement de la mécanique quantique), et il faut savoir s’arrêter au bon moment, quand les analyses cessent d’être fructueuses et d’avoir la moindre pertinence empirique. C’est ce que l’on fera naturellement si l’on est lucide sur le fait qu’on ne court pas après la vérité absolue, et si l’on cesse de mettre sur un piédestal les “critères d’évaluation non empirique” des théories pour se concentrer sur des considérations plus pragmatiques.

Bien sûr certains scientifiques (les physiciens en particulier) peuvent avoir dans l'idée qu'ils cherchent la vérité absolue, ils peuvent faire de la métaphysique, et peut-être certains le font-ils volontiers dans des ouvrages de vulgarisation, tout comme ils font parfois de l’épistémologie. Mais ce n’est pas leur activité principale, c’est-à-dire celle sur la base de laquelle ils sont évalués par leurs pairs. Cette activité principale est de développer des représentations robustes, dignes d’être acceptées, c’est-à-dire vraies au sens seulement ordinaire du terme. En effet, quand bien même ils auraient des standards d'évaluation bien plus élevés que ceux de la vie courante, ceux-ci ne sont pas transcendants.

Pour cette raison, je pense qu’il y a tromperie sur la marchandise quand on prétend que le réalisme métaphysique est du côté du bon sens, du côté de la science. 

Questions de stratégie

Il résulte de tout ceci un dilemme pour les pragmatistes qui, comme moi, pensent qu’il existe plus qu’une différence cosmétique entre ces deux conceptions de la vérité : soit ils ou elles continuent à se dire réalistes, quitte à ce qu’on leur prête des projets métaphysiques et des conceptions auxquels ils n’adhèrent pas vraiment, soit ils ou elles décident de se dire non réalistes pour marquer leur différence, quitte à ce qu’on les prenne à tort pour des antis-science.

S’il lui tient à cœur de ne pas passer pour un ou une philosophe anti-science, ou de ne pas laisser penser à tort que la philosophie peut être anti-science auprès du grand public, et s’il ne voit pas l’intérêt de générer des conflits internes entre écoles philosophiques, le pragmatiste pourra être tenté de se dire réaliste. Il ou elle poursuivra ses projets de recherche pragmatiques en mettant de côté les questions d'interprétation métaphysique qui ne l'intéressent pas vraiment. Il évitera d'aborder les questions de fond sauf si c'est vraiment nécessaire. Il pourra rappeler, si on lui demande, que son réalisme est plutôt pragmatique. Mais si la distinction n’apparaît pas clairement au non philosophe, légitimant ainsi une façon de faire de la métaphysique qu’il rejette personnellement, peu importe, c’est un mal pour un bien.

Mais si le pragmatiste a plus à cœur de se différencier, au sein de sa profession, d’un certain type de projet métaphysique qu’il juge illégitime ou futile, quitte à générer plus de débats internes, et parfois un malentendu auprès des non philosophes qui demandera de faire preuve de plus de pédagogie, il pourra se revendiquer non-réaliste.

L'idée que le réalisme métaphysique serait du côté du bon sens scientifique a tellement gagné les esprits que de nombreux philosophes préfèrent, me semble-t-il, opter pour la première stratégie : se dire réalistes alors même qu’ils défendent des conceptions plutôt pragmatistes, soit quelque chose de distinct de ce qu’on appelle consensuellement le réalisme scientifique dans la littérature spécialisée. C’est souvent ainsi que fonctionnent les positions dominantes en philosophie (mais aussi en politique) : elles s’approprient un certain usage des mots ordinaires qui rend la vie difficile aux défenseurs de positions alternatives, les mettant dans une position de dilemme : soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous (et nous, c’est le bon sens). Souvent, la position par défaut est de se rallier à la majorité.

Pour être clair, je ne pense pas qu’il s’agisse d’une stratégie intentionnelle de la part des réalistes métaphysiques. J’y vois plutôt un phénomène émergent, quelque chose d'à peu près inévitable, typique de certaines activités humaines impliquant des rapports de domination, ici dans le champ intellectuel. Et puis, les enjeux ne sont pas énormes, ce n’est que de la philosophie après tout. Juste un constat, donc. Mais le dilemme est bien là.

Pour ma part je fais plutôt partie de ceux (je pense minoritaires) qui préfèrent résister à cette injonction au bon sens réaliste et marquer leur différence avec l’approche métaphysique. Réaliste au sens pragmatique me convient sur le fond. Je crois que la plupart des théories scientifiques sont vraies, non pas parce qu'elles correspondent à la réalité, mais parce qu'elles sont acceptables au delà de tout doute raisonnable quand il est question d'interagir avec le monde. Je crois que les cellules biologiques existent, non pas parce qu'elles correspondent à un découpage parfaitement naturel, mais parce que c'est un bon découpage pour rendre compte du fonctionnement du vivant, à toutes fins utiles. Mais si on se met à se demander si l'espace-temps est relationnel ou substantiel, ou si les lois de la nature pourraient être différentes dans un autre monde possible, je commence à bailler. Et pour des raisons essentiellement stratégiques (parce que je considère que la philosophie gagnerait à s’éloigner d’une certaine façon de faire de la métaphysique déconnectée de considérations pratiques, et à être plus inclusive quand il est question d’interpréter les sciences), je préfère me dire non-réaliste et promouvoir l’anti-réalisme. Ça me demande de faire parfois un peu de pédagogie pour lever les malentendus. Mais je pense que c’est un mal pour un bien.

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