Pistolets sur la tempe et degrés de crédence

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et Monsieur Phi publient des vidéos youtube super intéressantes sur plein de sujets (l’intelligence artificielle, la morale, le réalisme sémantique) ainsi que de longues discussions (sur la chaîne Axiome). Autant je trouve leur vidéos passionnantes, autant je suis parfois en desaccord avec eux non forcément sur ce qu’ils disent, mais sur le cadre de discussion même qu’ils adoptent, et je voudrais essayer de mettre le doigt sur ce desaccord philosophiques, en espérant initier une discussion (mais comme je suis “old school”, ce sera par blog plutôt qu’en vidéo).

Ce n’est pas toujours facile d’exprimer exactement ce qui me gène, mais un bon point de départ est l’idée que l’on peut attribuer des degrés de crédence à n’importe quelle croyance (la consistance de l’arithmétique de Peano, le réalisme moral, …) (ceci dit Lê ne semble pas y adhérer totalement, puisqu’il affirme dans le dernier axiome (au cours du débat sur le réalisme moral) que ça ne peut être applicable qu’aux croyances qui prédisent des données observables).

Souvent ils utilisent dans leur discussion une petite expérience de pensée pour déterminer ces degrés de crédence : “imagine qu’on te mette un pistolet sur la tempe, que parierais-tu ?”. Une manière d'éliminer artificiellement la possibilité de suspendre son jugement.

A chaque fois qu’ils invoquent cette histoire de pistolet sur la tempe, je décroche, d’autant plus vite que le pari en question concerne une idée philosophique abstraite. Je vais essayer d’expliquer pourquoi.

Je souhaite traiter de trois problèmes à propos de cette idée :

  • L’expérience de pensée, en soi, ne montre pas qu’on a des croyances et degrés de crédences
  • L’idée suppose au départ que les questions (ou les croyances en général) ont une signification de manière absolue (réalisme sémantique) or ce n’est pas du tout évident
  • Elle suppose ensuite que l’adoption de croyances prenne la forme de degrés de crédence précis, or ça n’a rien d’évident non plus

1) Le pistolet sur la tempe ne montre rien

Remarquons d’abord que l’expérience de pensée en elle-même ne montre pas grand chose (je ne pense pas que Lê et Monsieur Phi l’utilisent comme un véritable argument donc ils peuvent être d’accord avec moi sur ce point).

Elle nous amène simplement à considérer que dans cette situation hypothétique, on répondrait forcément quelque chose, du moins si l’on ne veut pas mourir. Mais d’une part ce n’est pas certain (on pourrait être frappé de stupeur et devenir muet), en ensuite, surtout, ce n’est pas parce qu’on répondrait quelque chose que l’on répondrait ce que l’on croit, et qu’il y ait vraiment quelque chose que l’on croit de bien défini avant que la question ne soit posée.

J’ai l’impression que si on me posait une question sur la consistance de l’arithmétique de Peano, je répondrais au hasard non pas parce que j’ai une croyance de exactement 0,5, mais simplement parce que je n’ai pas de croyance, je ne suis pas même certain que la question ait un sens de manière absolue et qu’elle ait une réponse (elle est indémontrable et je suis anti-réaliste à propos des entités abstraites comme les nombres donc bon...). En fait je chercherais plutôt à satisfaire mon interlocuteur qu’à exprimer ce que je crois vraiment. Et si je "flippe", c'est parce que j'ai peur que mon interlocuteur ne soit pas satisfait par la réponse.

(Edit: si on me pose une question sur quelque chose de plus tangible, par exemple l'issue d'un match de tennis (commme le propose Monsieur Phi dans les commentaires de ce post) évidemment la situation implique que je vais essayer de répondre ce qui correspondra vraiment à l'issue du match. Pour autant est-ce que ça indique que j'avais au préalable une croyance concernant ce match, une préférence épistémique ? Je ne pense pas : ça me demande simplement de faire une estimation à la volée, en panique, et je vais faire ce que je peux mais le résultat de mon estimation n'a pas forcément de pertinence épistémologique. Il est très possible que le hasard intervienne plutôt que seulement mais croyances, que la situation affecte la manière dont je vais faire mon évaluation, etc. : en fait c'est une question de psychologie cognitive que de savoir ce qui va sortir comme réponse. Mais l'expérience en elle-même ne montre pas que ce qui va sortir est rationnellement pertinent et correspond à des degrés de crédence préalables. En tout cas c'est encore plus problématique quand il n'existe pas vraiment de moyen aussi clair de vérifier le pari).

Ce que je veux dire c’est qu’il peut y avoir plein de raisons de répondre une chose ou l’autre dans ces circonstances, et que le fait d’entretenir des croyances précises n’est pas la seule envisageable. Ce n'est pas parce qu'on est forcé à répondre qu'on a cessé de suspendre notre jugement.

On pourrait me rétorquer : tu fais des remarques purement psychologiques, ce n’est pas pertinent, imagine que tu sois motivé à répondre ce que tu crois vraiment, alors que répondrais-tu ? Mais pour moi la psychologie a toute sa pertinence puisque les croyances sont d’abord des objets de la psychologie, en particulier des objets sensés expliquer notre comportement, et la façon dont on répond aux questions.

Donc ces remarques ont toute leur pertinence : je ne suis pas du tout convaincu que la notion de croyance, qui prendrait la forme d’une proposition dotée de signification absolue associée à un degré de crédence, soit une entité psychologiquement pertinente pour expliquer nos comportement, surtout s’il s’agit d’attribuer des croyances à propos de n’importe quel sujet, comme la consistance de l’arithmétique (bien sûr je pense que la notion de croyance en général est pertinente pour expliquer nos comportements, ce dont je doute, c’est qu’elle puisse être ainsi étendue à toute question et hors de tout contexte : je reviens la dessus dans ce qui suit).

2) les questions ont-elles un sens ?

Un autre problème est que tout ceci suppose que les questions et réponses possibles qu’on poserait dans une telle situation ont une signification bien déterminée et une valeur de vérité fixe.

C’est ce qu’on appelle le réalisme sémantique. Monsieur Phi a fait une vidéo la dessus récemment. Il y a fait la part belle au réalisme, mais c’est un sujet qui fait encore débat en philosophie.

Pour ma part, j’ai de fortes inclinaisons pragmatistes plutôt que réalistes, pragmatistes au sens d’associer la vérité à une utilité idéale (ce qu’on croirait au terme d’une enquête idéalement bien menée) plutôt qu’à une correspondance à la réalité, c’est à dire d’inverser l’ordre de priorité entre vérité et croyance (définir la vérité à partir de la croyance plutôt que l’inverse). (pour ceux qui connaissent un peu l'épistémologie, une de mes raisons est que les problèmes type Gettier sont selon moi insolubles)

Je ne vais pas m’étendre la dessus, parce que la philosophie du langage peut devenir assez vite technique, mais quelques remarques : il est généralement accepté, en philosophie du langage, que le contexte affecte la signification des énoncés (“tout le monde dort” dépend du contexte : on ne veut pas dire littéralement tout le monde). On parle souvent de signification en termes de conditions de vérité. Il existe des débats pour savoir en quelle mesure le contexte agit sur la signification effective :

  • soit il existe une signification conventionnelle (des conditions de vérité par défaut associées aux phrases) qui est altérée par le contexte pour donner la signification effective
  • soit la signification conventionnelle n’est en fait qu’un potentiel de signification mais seuls les énoncés particuliers, en contexte, ont des conditions de vérité

Je penche personnellement pour la seconde option. Et je penche même pour l’idée qu’il n’existe pas vraiment de propositions, c’est à dire d'entités abstraites porteuses de signification absolue, hors contexte. Ceci a l’avantage d’éviter d’être réaliste envers ces entités abstraites que sont les propositions, au même titre que je ne pense pas que les nombres existent vraiment. Tout ce qui existe hors contexte, ce sont éventuellement des potentiels de signification associés aux usages conventionnels des mots. Mais les significations effectives devraient pouvoir s’analyser ultimement en termes de croyances particulières, et ces croyances en termes de dispositions à agir ou de guides pour l’action, et non en termes de correspondance au monde. (de même pour reprendre l'exemple de la vidéo de Monsieur Phi, je pense qu'une bonne carte doit être jugée à la manière dont elle permet de naviguer efficacement dans un certain contexte d'utilisation, non en termes de correspondance au monde, ce qui évite d'avoir à imaginer qu'il existe dans le monde de véritables propriétés naturelles comme "être une station de métro" qui ne dépendraient pas fondamentalement d'un certain usage).

S'il n'y a de signification qu'en contexte, est-ce que les conversations abstraites sont inintelligibles ? Non : simplement, quand nous entretenons des discussions abstraites, nous nous mettons d’accord sur la meilleure façon d’organiser nos concepts. Ce sont toujours des guides pour l’action, mais de manière plus générale, plus indirecte et indépendante de contextes particuliers. Discuter du réalisme moral, c’est discuter de la meilleure façon de parler du bien et du mal (la plus cohérente, efficace, tenant compte de l’usage conventionnel des mots). Et en ce moment je suis en train d'essayer de vous convaincre d'adopter ce qui est, selon moi, la meilleure façon de parler de croyances et de vérité.

C’est en gros ce en quoi consiste une approche pragmatiste, quand le réaliste affirmera que les propositions ont des conditions de vérité de manière absolue, hors contexte, qui tient à leur correspondance à la réalité.

Si vous comprenez mon approche, vous devinez que j’aurais tendance à résister à l’idée qu’on puisse attribuer une valeur de vérité ou des degrés de crédence à des choses comme la consistance de l’arithmétique de Peano ou le réalisme moral. Si l’on me met un pistolet sur la tempe et qu’on me demande ce qui est vrai, ma seule façon de comprendre cette question est : laquelle de ces croyances est la plus efficace dans le contexte présent ? Laquelle devrais-tu employer comme guide pour l’action ? Et si la question porte sur l’arithmétique de Peano, ma réponse sera : aucune croyance à ce sujet n’a de pertinence dans ce contexte ! Donc je répondrais : ni l’une ni l’autre. Et si cette réponse n’est pas acceptable, alors je répondrais au hasard, convaincu que mon interlocuteur se méprend sur la signification de sa propre question. (Edit: à la limite, je pourrais répondre que l'arithmétique est consistante parce qu'elle est utile (pour nous) et qu'on doit supposer sa consistance pour l'utiliser, et qu'il n'y a pas de valeurs objectives parce que cette idée introduit un fossé entre le bien et la motivation à faire le bien, et donc est inutile (pour nous), mais en tout cas il ne s'agit pas de correspondance absolue à la réalité).

On voit que l’expérience de pensée du pistolet sur la tempe présuppose qu’il y a une “bonne” réponse, et que les raisons de "flipper" quand on répond ont à voir avec la vérité, mais en fait, ça n’a rien d’évident, au moins quand les critères qui permettront de savoir qui a gagné le pari ne sont pas clairement spécifiés d'un commun accord.

(Pour cette raison j’étais assez en accord avec l’idée de Lê que l’attribution de probabilités n’a de sens que dans le cadre de Solmonoff, c'est-à-dire pour les croyances prédictives).

3) Les croyances ont-elles des degrés de crédence ?

Ceci dit, même pour les choses plus concrètes que je crois fermement, comme le fait que Bruxelles est la capitale de la Belgique, j’ai tendance à trouver absurde l’idée qu’on pourrait leur associer un degré de crédence, un nombre parfaitement défini entre 0 et 1. J’ai l’impression que n’importe quel nombre choisi sera plus ou moins arbitraitre (pourquoi 0,9965 plutôt que 0,9964 ?). C'est d'ailleurs une des principales raisons pour lesquelles je décroche quand Lê et Monsieur Phi évoquent l'expérience de pensée et s'amusent à estimer des degrés de crédence. Je pense qu'il n’y a pas vraiment de degré de crédence associé à cette croyance que Bruxelles est la capitale de la Belgique.

Ou plutôt si : dans la plupart des contextes, ce degré de crédence est exactement de 1. Non pas 0,9999… mais bien 1 : Bruxelles est la capitale de la Belgique, c'est indéniable. Il existe un certain nombre de contextes dans lesquels ce degrés de crédence passerait à exactement 0. Mais ces contextes sont très rares.

En fait ma façon de voir l’adoption des croyances est plutôt en mode tout ou rien : nous adoptons certaines idées comme guide pour l’action (c’est ce que nous appelons les croire) et d’autres non. Ca peut dépendre du contexte, et ça vaut y compris pour les énoncés abstraits. J’adopte l’idée que l’arithmétique de Peano est consistante quand je fais de l’arithmétique, mais pas forcément si je fais des méta-mathématiques.

Un avantage de cette façon de voir les choses est qu'elle rend la suspension de jugement parfaitement intelligible (je pense qu'il y a une différence entre suspendre son jugement et attribuer une probabilité de 0,5 à un énoncé). Si j’adopte une croyance, je n’adopte pas sa négation en même temps, mais je peux n’adopter ni l’une ni l’autre. Par exemple je ne crois pas qu’il y avait plus de 300 cheveux sur la tête de Platon à sa naissance, mais je ne crois pas l’inverse non plus, et si on me pose la question, je suis embêté pour répondre : je peux décider d’une adoption à la volée, mais ce choix sera plus ou moins aléatoire, ça ne reflète certainement pas une croyance préalable. Ou tout au plus une croyance sur le nombre de cheveux sur la tête des bébés en général.

Ce qui est vrai, cependant, c’est que certaines de mes croyances sont plus ou moins révisables. Mais encore une fois, je ne vois pas de raison de leur attribuer un “degré de révisabilitée” : il me semble plus correcte de penser qu’il existe plus ou moins d’expériences qui m’amèneraient à les réviser. Par exemple, il en faudrait beaucoup pour me convaincre que Bruxelles n’est pas la capitale de la Belgique (il faudrait d’abord me convaincre qu’on m’a trompé depuis toujours, ou qu’il vient d’y avoir un coup d’état, qu’une telle chose est possible en Belgique aujourd’hui). Il faudrait réviser beaucoup de croyances avant de pouvoir réviser celle-ci. Mais ce ne serait pas très difficile de me convaincre que Platon était plutôt chevelu.

Il y a donc un sens à dire qu’une croyance est plus ou moins ancrée, parce qu’il faut revoir une plus ou moins grosse partie de mon schème conceptuel pour la déloger. Il existe aussi des cas ou l’on est prêt à envisager que l’on se trompe : on imagine de futurs contextes qui nous ferons déloger une idée (et peut-être que notre schème conceptuel peut osciller entre plusieurs états au fil de notre imagination). Mais si certaines croyances sont plus faciles à déloger, ça ne justifie pas d’attribuer à toutes mes croyances un nombre entre 0 et 1 (pour le faire il faudrait disposer de quelque chose comme une mesure sur les contextes possibles, de manière à évaluer la probabilité qu'une croyance soit révisée, et je doute qu'on dispose de telles mesures en toute généralité).

En somme, je pense qu'il est plus pertinent de parler de coût épistémique associé à la révision d'une croyance que de degré de crédence, parce que ceux-ci ne sont en général pas évaluables. La notion de coût épistémique est qualitative, et plus fine parce qu'elle n'est pas unidimensionnelle. Certaines choses me feraient réviser certaines croyances et pas d'autres.

Mais il y a bien des probabilités ?

Certes, il y a bien des probabilités, et elles sont très utiles en science et parfois dans la vie courante. Mais à mon sens le seul cadre dans lequel il y a du sens à attribuer de manière fiable des probabilités à des énoncés, c’est quand on dispose d'un cadre précis pour évaluer les options et qu'on peut appliquer quelque chose comme un principe d’indifférence (c'est à dire, en l'occurrence, avoir une mesure sur les contextes possibles ! mais dans un cadre limité).

Par exemple, si l’on jette un dé à 6 faces, on peut dire~: il y a une chance sur 6 pour qu’il tombe sur 3. Ou encore, dans un contexte scientifique, si une théorie fait des prédictions probabilistes. Cependant ça ne fonctionne que parce que l'on refuse d'envisager un certain nombre de possibilités non quantifiable : qu'une bombe explose au moment où on allait jeter le dé ou qu'un appareil soit mal branché dans l'expérience par exemple. Ca ne fonctionne que parce qu'on tient un certain contexte pour fixe, pragmatiquement, comme pré-requis pour que l'énoncé ait un sens. C'est ce contexte qui fixe la manière dont on va évaluer les résultats d'un "pari".

Est-ce que ça veut dire que, au moins dans ce cadre fixe, j’ai un degré de crédence de 1/6 envers la proposition “le dé va tomber sur 3” ? Pas vraiment je pense (mais je serai peut-être prêt à réviser ma façon de voir les choses sur ce point) : je dirais que je n’entretiens aucune croyance envers le nombre qui va appararaître. Rien qui ne puisse servir de guide à mes actions. Ceci dit, j’entretiens bien une croyance à propos de la proposition “il y a une chance sur 6 que le dé tombe sur 3”, et cette croyance peut me servir de guide pour parier par exemple. Je peux également utiliser la formule de Bayes, tant que je suis capable d’attribuer des probabilités a priori aux hypothèses de manière objective dans un tel cadre bien défini, sur la base d’un principe d’indifférence par exemple.

Mais si j’entretiens cette croyance probabiliste, c’est uniquement parce que le cadre est correctement défini, pragmatiquement tenu pour fixe, et que je peux appliquer un principe d’indifférence pour déterminer des priors. Ce ne sont jamais des probabilités absolues : le lanceur de dé peut aussi avoir une crise cardiaque (on pourrait rétorquer que j'attribue une probabilité absolue à un conditionnel : si le contexte est le bon, alors... Mais j'aurais peine à lister les conditions).

(Edit: suite à une discussion avec Lê, j'imagine qu'on peut parfois aussi évaluer des ordres de grandeur de probabilités pour des hypothèses moins bien définies, mais qui pourraient l'être en principe, et que ça peut être utile mais les mêmes remarques s'appliquent)

Si maintenant on me demande la probabilité que l’arithmétique de Peano soit consistante ou que le réalisme moral soit vrai, il n'existe aucun cadre pour attribuer des probabilités et je peux sans peine répondre que je n’entretiens aucune croyance à ce sujet, qu'il s'agit plutôt pour moi de cadres à adopter et à évaluer en termes d'utilité pratique que de vérités ou de faussetés. Si l'on me demande si Platon avait plus ou moins de 300 cheveux sur sa tête à sa naissance, je dirais (faute de m'y connaître en cheveux de bébés) que je n'entretiens aucune des deux croyances, et si l’on me met un pistolet sur la tempe, je répondrais bien quelque chose, certes, au hasard sans doute, j'imagine que mon schème conceptuel va se mettre à osciller entre ces deux possibilités et que sous le coup d'une impulsion, l'une des deux va s'exprimer, mais au fond, ça n’a aucun rapport avec les croyances que j’entretiens. J’ai peut-être certaines dispositions préalables à répondre par “oui” ou par “non” à cette question si l’on me met un pistolet sur la tempe (les oscillations passeront plus de temps dans l'une des deux options ?). Mais le rapport entre ces dispositions et mes croyances n’est pas direct, puisqu'en l'occurrence je n'ai aucune croyance sur la chevelure de Platon, et ces dispositions n'ont pas à voir avec d'hypothétiques degrés de crédence : il s'agit simplement de la dynamique de mon schème conceptuelle en situation extrême.

Conclusion

Voilà en somme pourquoi certains passages des discussions qu’entretiennent Monsieur Phi et Lê, pour intéressantes que soient ces discussions dans leur ensemble, m’échappent quelque peu. Je comprend bien que leur approche est beaucoup plus réaliste que la mienne (en tout cas pour Monsieur Phi) et je n’ai pas de mal à suivre leur conversation, mais par moment les bases mêmes de la discussion me semblent caduques.

Je serai curieux de savoir ce qu’ils pensent de tout ça et s'ils ont de bons arguments contre ce type d'approche pragmatiste, de bonnes raisons pour moi de déloger ce cadre. Je serai prêt à parier (sans trop flipper) qu’ils ne sont pas entièrement d’accord avec cette façon de voir les choses, peut-être même pas du tout : je veux dire par là que ces croyances font partie de celles que j'entretiens en ce moment même...

Commentaires

Thibaut a dit…
L'idée du pistolet sur la tempe au départ c'est juste une façon de montrer que là où on dit "je ne sais pas du tout", bien souvent on a tout de même une préférence épistémique pour une alternative plutôt qu'une autre. Si tu me dis que "tu ne sais pas du tout" si la France va gagner la coupe Davis cette année, je trouverai intéressant de te demander si tu préfères que j'engage un tueur à gage qui te tuera seulement au cas où la France gagne, ou seulement au cas où elle ne gagne pas (et si tu ne réponds pas, je l'engage à te tuer de toute façon). Si tu fais ton choix en tirant à pile ou face, c'est que vraiment tu ne savais pas du tout si la France allait gagner ; sinon, c'est que tu avais une préférence épistémique. (Et ça n'a rien à voir avec le fait de plaire ou non à ton interlocuteur... En fin de compte, même moi je ne saurai pas, en engageant le tueur à gage, si je l'engage à te tuer ou non puisque je ne connais pas le résultat de la coupe Davis.)

Sur le deuxième point, soit tu admets que les significations (qu'elles soient ou non dépendante du contexte) peuvent référer à des aspects de la réalité, et à ce moment ayant une réalité + un langage qui permet d'en parler, je vois mal pourquoi refuser d'appeler "vraies" les propositions qui dont les éléments sont dans le même rapport mutuel que les aspects de la réalité auxquels ils réfèrent ; soit tu penses qu'en fin de compte aucun élément du langage n'a de rapport avec des aspects de la réalité, ce qui me paraît très difficile à tenir (même dans ta conception au fond très idéaliste tu sembles bien admettre qu'il y a d'autres agents qui forment des croyances, et tu sembles donc admettre pouvoir te référer au moins à ceux-là), eh bien évidemment que sans aucune réalité dont on parle beaucoup de discussions vont te sembler vides de sens...

Pour finir, si je comprends bien, tu refuse d'attribuer des probabilités épistémiques à la plupart des propositions (ou en tout cas à des propositions comme "l'arithmétique est cohérente"). Je répondais à ce genre d'attitude dans ma FAQ sur l'argument de Huemer, en particulier à partir 15:00 : https://youtu.be/USgRKvEMyIw?t=761 et je ne vois pas bien quels arguments tu y opposes.
Quentin Ruyant a dit…
Merci pour cette réponse !

En effet plaire ou non à l'interlocuteur n'est pas forcément pertinent, c'est un bon point. Ceci dit un point qui reste pertinent est que si l'on me questionne sur la coupe Davis, il est fort probable que je me mette à faire l'évaluation après la question, et donc de fait, je n'avais aucune préférence épistémique au préalable. Il est aussi possible que je fasse l'évaluation d'une façon, que je l'aurai faite différemment un instant plus tard et que le résultat de mon évaluation soit aléatoire. Ma réponse ne traduit pas forcément une préférence épistémique (en tout cas pas préalable).

Bon je ne vais pas me lancer sur le second point ça nous ménerait trop loin mais je ne suis pas vraiment idéaliste (plutôt pragmatiste suspicieux à propos de la métaphysique). Il y a surement une notion de référence pragmatique utilisable, mais l'idée qu'on fasse référence à des "vrais propriétés naturelles" indépendante de nos buts etc me semble inutile, encore plus quand les termes censés faire référence sont si abstraits ("valeur"...).

Dans la vidéo, si je ne me trompe pas de passage, tu affirme d'abord que la notion de probabilité épistémique est un prérequis à toute discussion rationnelle (ce dont je doute : surtout qu'elles sont en pratique impossibles à évaluer) et tu utilises la stratégie de demander toujours "mais quelle probabilité attribues-tu à *cette* proposition que les propositions de ce type ne peuvent pas se voir attribuer de probabilités ?". Je trouve cette manoeuvre suspicieuse par ce qu'elle demande à l'interlocuteur d'accepter ce qu'il nie. Oui il peut y avoir escalade à l'infini, mais il n'est pas clair de savoir lequel des deux interlocuteurs est à l'origine de cette régression...
Et nier qu'il existe un nombre réel entre 0 et 1 attribuable à chaque proposition que je pourrais entretenir ne me semble pas empêcher toute discussion rationnelle au même sens où nier le modus ponens empêcherait toute discussion.

Une autre manière de clore le dialogue pour moi (que j'envisage dans la dernière partie de l'article) est de répondre : une probabilité de 1 ! J'adopte cette croyance, et en ce sens, je lui attribue une probabilité de 1 exactement. Tu pourras me répondre : est-ce que ça veut dire que tu n'es pas prêt à réviser cette croyance, en aucune circonstance ? Et je dirais : non ce n'est pas ce que j'ai dis, donne moi d'abord les circonstances et je te dirais si je la révise, mais je ne vois aucune utilité à lui attribuer un nombre dont je ne comprends pas ce qu'il représente exactement, et cette croyance fait intégralement partie de mon schème conceptuel en cet instant précis.

Une manière de répondre à cette réponse sera : ok, alors parions (avec dans l'idée que le nombre représente une propension à parier en faveur d'un énoncé). Mais tu seras bien en mal de donner des critères empiriques précis pour évaluer qui a gagné le pari pour des propositions si abstraites, si bien que je n'aurais jamais aucune raison d'abandonner ma probabilité de 1.
Et justement, je pense que c'est l'absence de critère empirique précis (dans un cadre déterminé) qui est déterminant et qui fait qu'une croyance est plutôt à évaluer en termes d'utilité d'adoption que de vérité.



Quentin Ruyant a dit…
Pour illustrer pourquoi cette stratégie me pose problème on peut imaginer le dialogue suivant:
- selon toi quelle est la probabilité que xhhffh?
- je ne crois pas que xhhffh ait un sens donc je ne crois pas qu'il y ait une probabilité que xhhffh
- mais quel est la probabilité que xhhffh n'ait pas de sens? Tu n'en es pas sûr donc tu attribue bien une probabilité que xhhffh.

Ce dialogue me semble absurde.
Hubert Houdoy a dit…
Je ne vois pas bien l'intérêt de toute cette discussion. Cherchez-vous une complétude comme celle que cherchait David Hilbert, espoir auquel les théorèmes d'incomplétude ont mis fin. Aucune discipline ne peut fonder le réel (Clément Rosset, le réel est idiot). Toute discipline communique avec d'autres disciplines (qui fusionneront peut-être un jour). Et même si toutes les disciplines fusionnaient en une seule, celle-ci resterait incomplète. Le réel doit être assumé. Il ne doit pas être fondé en droit par des naïfs qui arrivent 13,7 milliards d'années après lui.
Quentin Ruyant a dit…
Je nie que la notion de probabilité épistémique soit universellement pertinente pour l'épistémologie (je pense qu'on ne devrait l'appliquer que quand une quantification objective est accessible), et M. Phi pense qu'elle est pertinente et s'applique à tout énoncé.

À ma connaissance il n'y a pas de rapport direct avec la notion de complétude en logique.

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