Le naturalisme
Le naturalisme est la restriction des explications possibles aux causes naturelles, à l'exclusion, donc, des causes surnaturelles. Sous sa forme méthodologique, il est sans doute la pierre angulaire du savoir scientifique. Mais qu'entend-on exactement par "naturel" ou "surnaturel" ? Si on entend par naturel "ce qui peut être scientifiquement expliqué", alors la définition semble circulaire, à moins de définir plus avant la nature de l'explication scientifique et ce à quoi elle se restreint.
Prenant quelques exemples typiques de causes surnaturelles (en astrologie, dans les religions, dans les récits fantastiques), on peut voir que ce qui les caractérise essentiellement est une référence à une forme ou une autre de volonté "immatérielle" -- destin, volonté divine, volonté humaine désincarnée -- c'est à dire l'intervention d'une finalité dans l'explication.
On voit bien pourquoi les explications surnaturelles sont problématiques : si elles font intervenir une cause finale, elles sont imprévisibles (si elles sont prévisible sur la base d'informations présentes, il ne s'agit plus de cause final mais de cause tout-court). Il est donc impossible de montrer qu'elles existent : quel que soit l'événement se produisant, on aura beau jeu d'affirmer qu'il s'agissait d'une finalité, et donc logiquement, aucun événement ne peut jamais être déterminant pour mettre en évidence une cause finale. La seule façon de montrer qu'une cause est surnaturelle serait d'être sûr d'avoir épuisé toutes les explications naturelles possibles (et encore, on objectera qu'il s'agit de hasard). Ceci fait de toute croyance au surnaturel une position métaphysique, par nature.
Mais inversement, si le fait d'être une cause naturelle est un prérequis à l'explication vérifiable, en aucun cas ce n'est un prérequis à l'existence. Il est donc a priori présomptueux d'affirmer que, sous prétexte que seul le naturel est explicable (par définition), tout ce qui existe est naturel -- à moins d'avoir la certitude que tout ce qui existe est explicable, mais comment l'aurait-on ? C'est pourquoi le naturalisme est lui aussi une position métaphysique. Il s'agit en quelque sorte de conjecturer que le domaine du scientifiquement inexplicable tend vers zéro, sinon en pratique, au moins en principe, quand le croyant au surnaturel postule qu'il existe des phénomènes irréductiblement inexplicables.
Mais puisqu'il existe du hasard "intrinsèque" dans l'explication scientifique, on peut dors et déjà affirmer qu'il existe de l'inexplicable. L'événement aléatoire singulier est inexplicable, seul la population d'événements aléatoires à travers la reproduction de conditions semblables l'est (par une explication statistique). Or l'univers est singulier, l'histoire est unique, ce qui est problématique pour la mise en évidence des causes, statistiques ou non (qui suppose la reproductibilité). Par exemple : comment savoir avec certitude si un caractère humain est naturel ou culturel, puisque nous ne disposons que d'un seul échantillon d'humanité ? Bien sûr on peut espérer réduire l'humain au biologique, le biologique au physique. Mais alors d'une part cette réduction risque d'être difficile à mettre en évidence de manière définitive, pour les raisons déjà citées, et d'autre part, on fait face à l'impossibilité de l'auto-prédiction que suppose le savoir lui même : la réduction de l'homme, être doué de savoir, par son savoir lui même est logiquement impossible.
Certes, tous ces arguments portent sur la possibilité pratique de réduire l'inexplicable à zéro, mais pas sur le principe suivant lequel, dans l'absolu, toute chose serait par essence naturelle. Simplement, comme nous sommes dans le monde, nous n'aurions pas accès au "point de vue de Dieu". Mais il existe également des arguments s'opposant à cette position de repli.
En particulier, si l'on assimile le surnaturel et la volonté, alors le naturalisme n'est-il pas la négation d'une authentique volonté humaine ? Or en l'absence de volonté, si le monde n'est qu'un spectacle qui m'est donné, peut-on parler de réelle connaissance, peut-on parler de science, de savoir scientifique, et en l'absence d'un tel savoir, peut-on vraiment parler de naturalisme ? La croyance naturaliste s'auto-réfuterait en minant les fondements de toute croyance, qui, en l'absence de volonté, ne pourrait finalement être qu'illusion de croyance. Par ailleurs, la conception d'un monde "déjà là" ne mène-t-elle pas à des paradoxes logiques, qui ne se résolvent qu'en réintroduisant la temporalité, c'est à dire l'ouverture sur l'inconnu ? Enfin l'explication scientifique, qui repose sur la reproductibilité, n'est-elle pas un pré-requis de la connaissance avant d'être une chose existant dans la nature ?
Peut-être, donc, avons nous placé le curseur du naturalisme un peu trop loin. Peut-on concevoir une vision naturelle de la volonté, à l'exclusion des causes naturelles ? Suivant quels critères ?
Après tout nous rendons compte au quotidien de la volonté humaine. Cela ne nous pose pas de problème. La psychologie elle même peut utiliser des concepts intentionnels. Mais naturaliser ces concepts, c'est affirmer qu'ils se ramènent, d'une manière ou d'une autre, à certaines causes.
La caractéristique de la volonté, on l'a vu, est d'être dirigé vers une finalité et donc imprévisible. Si elle est imprévisible, c'est qu'elle dispose d'un savoir privé, et c'est cet aspect privé qui est le garant de la liberté associée à la volonté. C'est ce à quoi se ramène une finalité vue "de l'extérieur". Car quand nous agissons en vue d'une fin, c'est sur la base d'un savoir issu du passé. Savoir comment fonctionne un distributeur nous permet d'obtenir une boisson. En aucun cas il n'y a lieu de conjecturer une cause finale, dans le sens d'une quelconque prémonition : l'explication fonctionne, et elle est scientifique. Cependant l'information est privé. Moi seul sait ce que je veux. C'est pourquoi mon comportement n'est pas prévisible au présent. Il l'est a posteriori, quand on a compris où je vouais en venir, quand ma finalité d'alors s'est révélée, qu'elle est devenu publique ; tout comme la statistique de l'événement aléatoire ne peut être établie qu'à posteriori...
Il est donc parfaitement possible de remplacer avantageusement la notion de cause finale par celle d'intimité cognitive, et ainsi de naturaliser la volonté humaine : celle-ci n'est pas connaissable en pratique, parce que privé, mais elle est naturelle par principe, ce qu'on peut constater a posteriori en voyant que la volonté s'est exprimé par l'entremise d'une structure physique qu'il est possible d'élucider.
Il ne s'agit pas d'affirmer que tout est physique mais que toute relation repose sur quelque chose de physique (c'est à dire in fine d'élucidable par un sujet). Non pas que le monde est scientifiquement connaissable dans son intégralité, mais que sa structure relationnelle l'est. Non pas, enfin, qu'il faille identifier la forme théorique que prend cette structure connaissable à ce qui existe, mais plutôt à une généralisation de la façon dont ce qui existe interagit.
Ce qui caractériserait la cause surnaturelle serait d'être une volonté sans support matériel identifiable. Exprimé ainsi, le naturalisme semble tenir du bon sens : comment Dieu ou le destin pourrait-il agir volontairement s'il ne possède pas de structures capable de porter une connaissance du monde, s'ils ne disposent pas de représentations ? Comment un homme pourrait-il agir volontairement sur quelque chose qui ne lui est aucunement relié ?
Prenant quelques exemples typiques de causes surnaturelles (en astrologie, dans les religions, dans les récits fantastiques), on peut voir que ce qui les caractérise essentiellement est une référence à une forme ou une autre de volonté "immatérielle" -- destin, volonté divine, volonté humaine désincarnée -- c'est à dire l'intervention d'une finalité dans l'explication.
On voit bien pourquoi les explications surnaturelles sont problématiques : si elles font intervenir une cause finale, elles sont imprévisibles (si elles sont prévisible sur la base d'informations présentes, il ne s'agit plus de cause final mais de cause tout-court). Il est donc impossible de montrer qu'elles existent : quel que soit l'événement se produisant, on aura beau jeu d'affirmer qu'il s'agissait d'une finalité, et donc logiquement, aucun événement ne peut jamais être déterminant pour mettre en évidence une cause finale. La seule façon de montrer qu'une cause est surnaturelle serait d'être sûr d'avoir épuisé toutes les explications naturelles possibles (et encore, on objectera qu'il s'agit de hasard). Ceci fait de toute croyance au surnaturel une position métaphysique, par nature.
Mais inversement, si le fait d'être une cause naturelle est un prérequis à l'explication vérifiable, en aucun cas ce n'est un prérequis à l'existence. Il est donc a priori présomptueux d'affirmer que, sous prétexte que seul le naturel est explicable (par définition), tout ce qui existe est naturel -- à moins d'avoir la certitude que tout ce qui existe est explicable, mais comment l'aurait-on ? C'est pourquoi le naturalisme est lui aussi une position métaphysique. Il s'agit en quelque sorte de conjecturer que le domaine du scientifiquement inexplicable tend vers zéro, sinon en pratique, au moins en principe, quand le croyant au surnaturel postule qu'il existe des phénomènes irréductiblement inexplicables.
Mais puisqu'il existe du hasard "intrinsèque" dans l'explication scientifique, on peut dors et déjà affirmer qu'il existe de l'inexplicable. L'événement aléatoire singulier est inexplicable, seul la population d'événements aléatoires à travers la reproduction de conditions semblables l'est (par une explication statistique). Or l'univers est singulier, l'histoire est unique, ce qui est problématique pour la mise en évidence des causes, statistiques ou non (qui suppose la reproductibilité). Par exemple : comment savoir avec certitude si un caractère humain est naturel ou culturel, puisque nous ne disposons que d'un seul échantillon d'humanité ? Bien sûr on peut espérer réduire l'humain au biologique, le biologique au physique. Mais alors d'une part cette réduction risque d'être difficile à mettre en évidence de manière définitive, pour les raisons déjà citées, et d'autre part, on fait face à l'impossibilité de l'auto-prédiction que suppose le savoir lui même : la réduction de l'homme, être doué de savoir, par son savoir lui même est logiquement impossible.
Certes, tous ces arguments portent sur la possibilité pratique de réduire l'inexplicable à zéro, mais pas sur le principe suivant lequel, dans l'absolu, toute chose serait par essence naturelle. Simplement, comme nous sommes dans le monde, nous n'aurions pas accès au "point de vue de Dieu". Mais il existe également des arguments s'opposant à cette position de repli.
En particulier, si l'on assimile le surnaturel et la volonté, alors le naturalisme n'est-il pas la négation d'une authentique volonté humaine ? Or en l'absence de volonté, si le monde n'est qu'un spectacle qui m'est donné, peut-on parler de réelle connaissance, peut-on parler de science, de savoir scientifique, et en l'absence d'un tel savoir, peut-on vraiment parler de naturalisme ? La croyance naturaliste s'auto-réfuterait en minant les fondements de toute croyance, qui, en l'absence de volonté, ne pourrait finalement être qu'illusion de croyance. Par ailleurs, la conception d'un monde "déjà là" ne mène-t-elle pas à des paradoxes logiques, qui ne se résolvent qu'en réintroduisant la temporalité, c'est à dire l'ouverture sur l'inconnu ? Enfin l'explication scientifique, qui repose sur la reproductibilité, n'est-elle pas un pré-requis de la connaissance avant d'être une chose existant dans la nature ?
Peut-être, donc, avons nous placé le curseur du naturalisme un peu trop loin. Peut-on concevoir une vision naturelle de la volonté, à l'exclusion des causes naturelles ? Suivant quels critères ?
Après tout nous rendons compte au quotidien de la volonté humaine. Cela ne nous pose pas de problème. La psychologie elle même peut utiliser des concepts intentionnels. Mais naturaliser ces concepts, c'est affirmer qu'ils se ramènent, d'une manière ou d'une autre, à certaines causes.
La caractéristique de la volonté, on l'a vu, est d'être dirigé vers une finalité et donc imprévisible. Si elle est imprévisible, c'est qu'elle dispose d'un savoir privé, et c'est cet aspect privé qui est le garant de la liberté associée à la volonté. C'est ce à quoi se ramène une finalité vue "de l'extérieur". Car quand nous agissons en vue d'une fin, c'est sur la base d'un savoir issu du passé. Savoir comment fonctionne un distributeur nous permet d'obtenir une boisson. En aucun cas il n'y a lieu de conjecturer une cause finale, dans le sens d'une quelconque prémonition : l'explication fonctionne, et elle est scientifique. Cependant l'information est privé. Moi seul sait ce que je veux. C'est pourquoi mon comportement n'est pas prévisible au présent. Il l'est a posteriori, quand on a compris où je vouais en venir, quand ma finalité d'alors s'est révélée, qu'elle est devenu publique ; tout comme la statistique de l'événement aléatoire ne peut être établie qu'à posteriori...
Il est donc parfaitement possible de remplacer avantageusement la notion de cause finale par celle d'intimité cognitive, et ainsi de naturaliser la volonté humaine : celle-ci n'est pas connaissable en pratique, parce que privé, mais elle est naturelle par principe, ce qu'on peut constater a posteriori en voyant que la volonté s'est exprimé par l'entremise d'une structure physique qu'il est possible d'élucider.
Il ne s'agit pas d'affirmer que tout est physique mais que toute relation repose sur quelque chose de physique (c'est à dire in fine d'élucidable par un sujet). Non pas que le monde est scientifiquement connaissable dans son intégralité, mais que sa structure relationnelle l'est. Non pas, enfin, qu'il faille identifier la forme théorique que prend cette structure connaissable à ce qui existe, mais plutôt à une généralisation de la façon dont ce qui existe interagit.
Ce qui caractériserait la cause surnaturelle serait d'être une volonté sans support matériel identifiable. Exprimé ainsi, le naturalisme semble tenir du bon sens : comment Dieu ou le destin pourrait-il agir volontairement s'il ne possède pas de structures capable de porter une connaissance du monde, s'ils ne disposent pas de représentations ? Comment un homme pourrait-il agir volontairement sur quelque chose qui ne lui est aucunement relié ?
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