Subjectivité et objectivité chez Cassirer
Dans substance et fonction, Cassirer écrit : "Si l'on interroge l'expérience immédiate, prise à l'état natif et non encore patronné par la réflexion, il apparaît clairement que l'opposition entre "subjectif" et "objectif" lui est totalement étrangère. Il n'y a pour elle qu'un seul niveau d'existence qui inclut uniformément et sans distinction tous les contenus."
Ainsi on ne passe pas, avec la connaissance, de la subjectivité à l'objectivité, on ne "sort" jamais du cercle de l'expérience, au sein de laquelle cette opposition se construit avec la connaissance. Naïvement, le monde objectif est pour nous celui qui contient des objets ayant des formes, des couleurs, émettant des sons. Ce n'est qu'à l'issu de la réflexion qu'on fera de cette objectivité une apparence circonstancielle (le fait de disposer d'yeux et d'oreilles). Cette réflexion consiste en l'appréhension du contenu stable de l'expérience à travers une représentation conceptuelle. Ainsi nous sommes capable de reconnaître un objet quelque soit l'angle suivant lequel on le regarde, parce que le concept de l'objet en question remplace une succession non ordonnée d'impressions sensibles par des attendus, des relations. On retrouve le rôle du concept non comme une image copiée du monde réel, mais plutôt comme une opération de régulation de l'expérience sensible, ce dont nous avions parlé dans un article précédent.
Par ailleurs Cassirer observe que chaque contenu sensible contient déjà un jugement. Ce qui nous est donné dans l'expérience sensible, ce ne sont pas des sensations disparates, une multiplicité d'où on déduirait la présence d'objets en relations dans l'espace. Ce sont déjà des objets et une structure spatiale. La structure n'est pas postérieure aux sensations mais contemporaine, et elle n'est pas non plus donnée à part comme une chose en plus, comme une autre sensation qui viendrait s'ajouter : les sensations diverses ne co-existent dans notre expérience que comme relatas de cette structure unificatrice et sans elles, elles n'existeraient même pas. Si l'on parvient à isoler des sensations "atomiques", c'est encore à l'issue d'une analyse, tandis que l'expérience nous est d'abord donnée comme un tout (par exemple une mélodie suscite une impression indépendamment des notes qui la compose, puisqu'une transposition pourrait susciter la même impression). Ainsi l'acte de perception et l'acte de jugement (c'est à dire l'application d'un concept) ne sont pas séparables.
Bien sûr ceci pose la question de la genèse du concept, question que Cassirer n'aborde pas directement si ce n'est pour signaler qu'il ne peut résulter simplement de "l'effet que cela fait" que de recevoir un ensemble de sensations disparates. Le concept doit donc d'une manière ou d'une autre pré-exister à la perception pour lui donner lieu, mais pour autant il ne peut avoir émergé qu'à l'issue des expériences précédentes. C'est un peu la question de la poule et de l'oeuf, et comme on pourrait montrer que dans le passé, poule et oeuf se confondaient en une même chose avant de se différencier (un être unicellulaire se reproduisant à l'identique), c'est sans doute qu'expérience perceptive et concept se confondent historiquement, chez un individu donné, en une seule chose, un acte de perception/jugement embryonnaire, et viennent à se distinguer avec le temps, le concept valant pour la sédimentation de ces actes en un invariant, la relation, et le percept pour ce qui varie en chaque instant, le relata. C'est donc bien le percept qui vient nourrir le concept, qui donne lieu à de nouvelles différenciations, de nouvelles combinaisons relationnelles, de nouveaux concepts, tout comme en science de nouvelles expériences permettent à l'occasion de ré-agencer nos théories sans pour autant les déterminer.
Car au fond le développement individuel et le développement de la science fonctionnent un peu de la même manière. On peut se demander à juste titre si ce sont les théories qui façonnent les faits ou l'inverse. Après tout sans la thermodynamique, la hauteur du mercure dans le tube ne vaut pas pour une mesure de la température, et la moindre mesure de longueur elle-même s'appuie finalement sur une théorie géométrique de l'espace antérieure. On a pu montrer aussi à quel point les faits n'entrant pas dans le cadre théorique sont généralement ignorés (par exemple Kuhn). La théorie scientifique n'est pas simplement déductible des faits mais les ordonne, tout comme la représentation n'est pas déductible des sensations mais les façonne. Et pourtant il est évident que ce sont les faits qui déterminent la validité d'une théorie. De même qu'on a pu imaginer une genèse du concept, on peut supposer qu'en période pré-scientifique, théories et observations se confondent, puis par abstractions successives se dégage une théorie de plus en plus indépendante des observations, non réductibles à elles, et du même coup de plus en plus générique et applicable à toute situation. Ce faisant elle structure une multiplicité toujours plus importante de faits qui acquièrent une signification qu'ils n'avaient pas.
C'est paradoxalement ces théories rendues plus indépendante, donc en un sens plus éloignée de l'expérience concrète (mais permettant de l'ordonner) qu'on caractérise d'objective.
Ainsi on ne passe pas, avec la connaissance, de la subjectivité à l'objectivité, on ne "sort" jamais du cercle de l'expérience, au sein de laquelle cette opposition se construit avec la connaissance. Naïvement, le monde objectif est pour nous celui qui contient des objets ayant des formes, des couleurs, émettant des sons. Ce n'est qu'à l'issu de la réflexion qu'on fera de cette objectivité une apparence circonstancielle (le fait de disposer d'yeux et d'oreilles). Cette réflexion consiste en l'appréhension du contenu stable de l'expérience à travers une représentation conceptuelle. Ainsi nous sommes capable de reconnaître un objet quelque soit l'angle suivant lequel on le regarde, parce que le concept de l'objet en question remplace une succession non ordonnée d'impressions sensibles par des attendus, des relations. On retrouve le rôle du concept non comme une image copiée du monde réel, mais plutôt comme une opération de régulation de l'expérience sensible, ce dont nous avions parlé dans un article précédent.
Par ailleurs Cassirer observe que chaque contenu sensible contient déjà un jugement. Ce qui nous est donné dans l'expérience sensible, ce ne sont pas des sensations disparates, une multiplicité d'où on déduirait la présence d'objets en relations dans l'espace. Ce sont déjà des objets et une structure spatiale. La structure n'est pas postérieure aux sensations mais contemporaine, et elle n'est pas non plus donnée à part comme une chose en plus, comme une autre sensation qui viendrait s'ajouter : les sensations diverses ne co-existent dans notre expérience que comme relatas de cette structure unificatrice et sans elles, elles n'existeraient même pas. Si l'on parvient à isoler des sensations "atomiques", c'est encore à l'issue d'une analyse, tandis que l'expérience nous est d'abord donnée comme un tout (par exemple une mélodie suscite une impression indépendamment des notes qui la compose, puisqu'une transposition pourrait susciter la même impression). Ainsi l'acte de perception et l'acte de jugement (c'est à dire l'application d'un concept) ne sont pas séparables.
Bien sûr ceci pose la question de la genèse du concept, question que Cassirer n'aborde pas directement si ce n'est pour signaler qu'il ne peut résulter simplement de "l'effet que cela fait" que de recevoir un ensemble de sensations disparates. Le concept doit donc d'une manière ou d'une autre pré-exister à la perception pour lui donner lieu, mais pour autant il ne peut avoir émergé qu'à l'issue des expériences précédentes. C'est un peu la question de la poule et de l'oeuf, et comme on pourrait montrer que dans le passé, poule et oeuf se confondaient en une même chose avant de se différencier (un être unicellulaire se reproduisant à l'identique), c'est sans doute qu'expérience perceptive et concept se confondent historiquement, chez un individu donné, en une seule chose, un acte de perception/jugement embryonnaire, et viennent à se distinguer avec le temps, le concept valant pour la sédimentation de ces actes en un invariant, la relation, et le percept pour ce qui varie en chaque instant, le relata. C'est donc bien le percept qui vient nourrir le concept, qui donne lieu à de nouvelles différenciations, de nouvelles combinaisons relationnelles, de nouveaux concepts, tout comme en science de nouvelles expériences permettent à l'occasion de ré-agencer nos théories sans pour autant les déterminer.
Car au fond le développement individuel et le développement de la science fonctionnent un peu de la même manière. On peut se demander à juste titre si ce sont les théories qui façonnent les faits ou l'inverse. Après tout sans la thermodynamique, la hauteur du mercure dans le tube ne vaut pas pour une mesure de la température, et la moindre mesure de longueur elle-même s'appuie finalement sur une théorie géométrique de l'espace antérieure. On a pu montrer aussi à quel point les faits n'entrant pas dans le cadre théorique sont généralement ignorés (par exemple Kuhn). La théorie scientifique n'est pas simplement déductible des faits mais les ordonne, tout comme la représentation n'est pas déductible des sensations mais les façonne. Et pourtant il est évident que ce sont les faits qui déterminent la validité d'une théorie. De même qu'on a pu imaginer une genèse du concept, on peut supposer qu'en période pré-scientifique, théories et observations se confondent, puis par abstractions successives se dégage une théorie de plus en plus indépendante des observations, non réductibles à elles, et du même coup de plus en plus générique et applicable à toute situation. Ce faisant elle structure une multiplicité toujours plus importante de faits qui acquièrent une signification qu'ils n'avaient pas.
C'est paradoxalement ces théories rendues plus indépendante, donc en un sens plus éloignée de l'expérience concrète (mais permettant de l'ordonner) qu'on caractérise d'objective.
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