La connaissance et la liberté
Si j’observe une corrélation, rien ne m’indique de lien de causalité, il se peut qu’il y ait plutôt une cause commune. Ainsi, pour reprendre un exemple connu, s’il y a une corrélation indéniable entre le port du briquet et la prédisposition au cancer du poumon, rien n’indique que l’un cause l’autre. La seule possibilité pour moi de mettre en évidence un lien de causalité est de jouer sur un paramètre et d’observer l’effet qui en résulte : si je force quelqu’un à porter un briquet, la probabilité qu’il meure d’un cancer du poumon n’augmentera sans doute pas ; il n’y a donc pas vraiment causalité, mais seulement corrélation.
On voit que c’est l’indépendance de la cause quant à l’effet qui seule peut me permettre de mettre en évidence un lien de causalité entre deux types d’événements : il faut, pour qu’il y ait réellement causalité, que la cause puisse ne pas avoir eu lieu, et que dans ce cas il n’y ait pas eu d’effet. Or la seule source authentique d’indépendance est la liberté ; le seul usage adéquat du conditionnel est quand le choix est réel, quand la condition peut réellement se produire ou ne pas se produire. Concrètement, c’est ma possibilité d’agir librement sur un paramètre qui me permet de mettre en évidence la causalité.
L’idée de causalité est donc fondée sur celle de liberté. C’est la liberté du sujet cognitif, considérée comme source d’indépendance, qui permet d’établir le lien de causalité de manière sûre. Ce lien peut ensuite être étendue au delà du champs de l’action humaine. Par exemple on dit que la masse du soleil cause la trajectoire de la terre parce que l’on a établit la causalité entre masse et trajectoire par ailleurs. Mais s’il n’y avait aucune liberté nulle-part, aucune contingence, donc aucune réelle indépendance des faits entre eux, il n’y aurait pas lieu de parler de causalité : on pourrait simplement dire qu’il y a succession logique des faits, et celle-ci, contrairement à la causalité qui est dirigée vers le futur, serait réversible, indifférente au sens d’écoulement du temps.
Il est donc étonnant de voir le principe de causalité se retourner contre la liberté, parce qu’alors il se retourne contre lui même.
Ceci révèle que le fondement de la science théorique n’est pas simplement l’observation mais l’interaction, l’action/réaction. Quand il n’y a qu’observation, la science n’est plus tout a fait théorique, elle est plutôt historique (par exemple en biologie évolutive ou en cosmologie). Elle étudie un système unique, le monde, qui n’est jamais deux fois identique à lui même. Elle peut classifier, recenser, retracer l’histoire de ce qu’elle observe, mais sa seule façon de théoriser, de produire des lois scientifiques, est l’expérience interactive, la création artificielle de situations expérimentales identiques. Cette aspect interactif des théories scientifiques apparaît clairement en physique quantique : on voit qu’au niveau fondamental, le dispositif expérimental est partie intégrante du processus de mesure. Il sélectionne l’observable mesuré, et sans lui, le modèle ne peut donc pas être interprété. Il n’y a pas non plus de système quantique concevable sans préparation, sans mesure initiale. De même le “free will theorem” qui prouve que les particules élémentaires sont libres (c’est à dire non entièrement déterminée par l’information dont elles disposent) a comme pré-requis la liberté de l’expérimentateur dans le choix de ce qu’il va mesurer.
On peut nier la liberté, mais alors on nie aussi la possibilité de connaître. Si la vie n’est qu’un spectacle, la connaissance aussi fait partie du spectacle, elle n’a rien d’authentique. La seule garantie de l’authenticité de la connaissance est la liberté (par exemple la liberté de douter). La connaissance des lois du monde ne peut donc me montrer que je ne suis pas libre, car se faisant elle se contredirait elle-même. Ceci s’exprime aussi à travers le paradoxe suivant : si je pouvais connaître ce qui me détermine, je pourrais choisir d’agir autrement. Donc symétriquement, la connaissance de moi-même est une source de liberté. Ou plutôt, la liberté m’est toujours donnée, parce que “savoir que je ne suis pas libre” n’a aucun sens dans la mesure où la connaissance est le fond (déterminé) sur lequel s’exerce la liberté.
On voit ici que la connaissance est source de liberté. D’abord parce qu’il ne peut pas exister de liberté pure, ne s’exerçant sur rien. Il faut qu’il y ait un fond. Ensuite parce que c’est la connaissance qui détermine mes possibilités. C’est ce que je sais et ce que je crois qui sous-tend chacune de mes actions (on retrouve cette idée chez William James). Je saisie cet objet parce que je sais qu’il se trouve là. C’est parce que je crois que ceci est une bonne chose que j’agis ainsi. Si j’avance dans la brume, mes possibilités sont amoindries. Pourtant mes muscles ne sont pas plus faibles, je suis le même homme, mais simplement ma volonté a moins de prises, mon imagination n’a pas de matériaux pour inventer.
Si selon certaines perspectives la connaissance semble réduire le champ de la liberté, en établissant des déterminismes, c’est en fait le contraire qui se produit. La connaissance de ces déterminismes me permet de prévoir, donc d’agir. Elle dissipe la brume.
L’illusion de cette réduction du champ de la liberté provient de ce que la connaissance est toujours issue du passé. A posteriori, il peut toujours sembler que ce qui s’est produit était la seule chose qui pouvait se produire. Mais sur le moment, nous ne le savions pas, et maintenant, nous ne savons pas ce qu’il va se produire. L’induction ne détermine jamais avec certitude l’avenir, seulement la confiance qu’on peut accorder à nos prédictions (il n’y a de lois que statistiques). On peut donc penser que la liberté n’existe pas, mais ce ne peut être qu’une idée métaphysique infalsifiable, parce que nous sommes toujours fondamentalement dans l’ignorance du futur.
Puisqu’il n’existe pas de connaissance définitive du futur, tout au plus une confiance en ce que l’on sait ou croit, on peut dire que la liberté consiste en choisir ce que l’on veut croire sur la base de ce que l’on sait.
On voit que c’est l’indépendance de la cause quant à l’effet qui seule peut me permettre de mettre en évidence un lien de causalité entre deux types d’événements : il faut, pour qu’il y ait réellement causalité, que la cause puisse ne pas avoir eu lieu, et que dans ce cas il n’y ait pas eu d’effet. Or la seule source authentique d’indépendance est la liberté ; le seul usage adéquat du conditionnel est quand le choix est réel, quand la condition peut réellement se produire ou ne pas se produire. Concrètement, c’est ma possibilité d’agir librement sur un paramètre qui me permet de mettre en évidence la causalité.
L’idée de causalité est donc fondée sur celle de liberté. C’est la liberté du sujet cognitif, considérée comme source d’indépendance, qui permet d’établir le lien de causalité de manière sûre. Ce lien peut ensuite être étendue au delà du champs de l’action humaine. Par exemple on dit que la masse du soleil cause la trajectoire de la terre parce que l’on a établit la causalité entre masse et trajectoire par ailleurs. Mais s’il n’y avait aucune liberté nulle-part, aucune contingence, donc aucune réelle indépendance des faits entre eux, il n’y aurait pas lieu de parler de causalité : on pourrait simplement dire qu’il y a succession logique des faits, et celle-ci, contrairement à la causalité qui est dirigée vers le futur, serait réversible, indifférente au sens d’écoulement du temps.
Il est donc étonnant de voir le principe de causalité se retourner contre la liberté, parce qu’alors il se retourne contre lui même.
Ceci révèle que le fondement de la science théorique n’est pas simplement l’observation mais l’interaction, l’action/réaction. Quand il n’y a qu’observation, la science n’est plus tout a fait théorique, elle est plutôt historique (par exemple en biologie évolutive ou en cosmologie). Elle étudie un système unique, le monde, qui n’est jamais deux fois identique à lui même. Elle peut classifier, recenser, retracer l’histoire de ce qu’elle observe, mais sa seule façon de théoriser, de produire des lois scientifiques, est l’expérience interactive, la création artificielle de situations expérimentales identiques. Cette aspect interactif des théories scientifiques apparaît clairement en physique quantique : on voit qu’au niveau fondamental, le dispositif expérimental est partie intégrante du processus de mesure. Il sélectionne l’observable mesuré, et sans lui, le modèle ne peut donc pas être interprété. Il n’y a pas non plus de système quantique concevable sans préparation, sans mesure initiale. De même le “free will theorem” qui prouve que les particules élémentaires sont libres (c’est à dire non entièrement déterminée par l’information dont elles disposent) a comme pré-requis la liberté de l’expérimentateur dans le choix de ce qu’il va mesurer.
On peut nier la liberté, mais alors on nie aussi la possibilité de connaître. Si la vie n’est qu’un spectacle, la connaissance aussi fait partie du spectacle, elle n’a rien d’authentique. La seule garantie de l’authenticité de la connaissance est la liberté (par exemple la liberté de douter). La connaissance des lois du monde ne peut donc me montrer que je ne suis pas libre, car se faisant elle se contredirait elle-même. Ceci s’exprime aussi à travers le paradoxe suivant : si je pouvais connaître ce qui me détermine, je pourrais choisir d’agir autrement. Donc symétriquement, la connaissance de moi-même est une source de liberté. Ou plutôt, la liberté m’est toujours donnée, parce que “savoir que je ne suis pas libre” n’a aucun sens dans la mesure où la connaissance est le fond (déterminé) sur lequel s’exerce la liberté.
On voit ici que la connaissance est source de liberté. D’abord parce qu’il ne peut pas exister de liberté pure, ne s’exerçant sur rien. Il faut qu’il y ait un fond. Ensuite parce que c’est la connaissance qui détermine mes possibilités. C’est ce que je sais et ce que je crois qui sous-tend chacune de mes actions (on retrouve cette idée chez William James). Je saisie cet objet parce que je sais qu’il se trouve là. C’est parce que je crois que ceci est une bonne chose que j’agis ainsi. Si j’avance dans la brume, mes possibilités sont amoindries. Pourtant mes muscles ne sont pas plus faibles, je suis le même homme, mais simplement ma volonté a moins de prises, mon imagination n’a pas de matériaux pour inventer.
Si selon certaines perspectives la connaissance semble réduire le champ de la liberté, en établissant des déterminismes, c’est en fait le contraire qui se produit. La connaissance de ces déterminismes me permet de prévoir, donc d’agir. Elle dissipe la brume.
L’illusion de cette réduction du champ de la liberté provient de ce que la connaissance est toujours issue du passé. A posteriori, il peut toujours sembler que ce qui s’est produit était la seule chose qui pouvait se produire. Mais sur le moment, nous ne le savions pas, et maintenant, nous ne savons pas ce qu’il va se produire. L’induction ne détermine jamais avec certitude l’avenir, seulement la confiance qu’on peut accorder à nos prédictions (il n’y a de lois que statistiques). On peut donc penser que la liberté n’existe pas, mais ce ne peut être qu’une idée métaphysique infalsifiable, parce que nous sommes toujours fondamentalement dans l’ignorance du futur.
Puisqu’il n’existe pas de connaissance définitive du futur, tout au plus une confiance en ce que l’on sait ou croit, on peut dire que la liberté consiste en choisir ce que l’on veut croire sur la base de ce que l’on sait.
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