Pragmatisme moral
La justification a un rapport au vrai similaire au rapport que la motivation a au bien.
Je m’explique.
Il est trivial que “vrai” ne signifie pas “justifié”, car on peut être justifié à croire le faux (les apparences peuvent être trompeuses), et l’on peut ne pas disposer d’informations suffisantes pour être justifié à connaître la vérité sur un sujet (qui sait combien de fois a éternué Jules César dans sa vie ?) sans que cela signifie qu’il n’y ait aucune vérité sur ce sujet. C’est pour ça qu’il est intuitif d’opérer un divorce radical entre le concept de vérité, qui aurait à voir avec ce qui est indépendamment de nous, dans le monde, “en dehors de nos têtes”, et le concept de justification, qui a seulement à voir avec l’information dont on dispose.
Selon cette manière de voir, la vérité serait une correspondance directe entre une croyance et des faits objectifs, mais notre expérience personnelle ou notre raisonnement ne peuvent jamais nous fournir que des indicateurs de ce qui est vrai ou faux, soit au mieux une justification partielle. Le problème, avec cette idée intuitive, est qu’en faisant du vrai une caractéristique transcendant la justification, en principe entièrement indépendant d’elle, elle introduit un fossé apparemment infranchissable entre le vrai et sa justification (et si un malin génie me trompait systématiquement ?), fossé qui est au cœur de la question du réalisme métaphysique.
Bon. Maintenant transposons.
Il est trivial que “bien” ne signifie pas “motivé”, car on peut être motivé à faire le mal (nos désirs peuvent être corrompus), et l’on peut ne pas disposer de raisons suffisantes pour agir de la bonne façon dans une situation (qui sait comment résoudre les dilemmes moraux ?) sans que cela signifie qu’il n’y a aucune bonne façon d’agir dans cette situation. C’est pour ça qu’il est intuitif d’opérer un divorce radical entre le concept de bien, qui aurait avoir avec ce qu’il faut indépendamment de nous, dans le monde, “en dehors de nos tête”, et le concept de motivation, qui a à voir avec nos raisons d’agir personnelles.
Selon cette manière de voir, le bien serait une correspondance directe entre un acte et des valeurs objective, mais notre expérience personnelle ou nos raisonnements ne peuvent jamais que nous fournir des indicateurs de ce qui est bien ou mal, soit au mieux une motivation partielle. Le problème, avec cette idée intuitive, est qu’en faisant du bien une caractéristique transcendant la motivation, en principe entièrement indépendant d’elle, elle introduit un fossé apparemment infranchissable entre le bien et la motivation, fossé qui est au cœur de la question du réalisme méta-éthique.
Vrai/Faux | Bien/Mal |
---|---|
Croire | Faire |
Justification | Motivation |
Faits | Valeurs |
Cause | Finalité |
Information | Raison |
Voir (que) | Vouloir (que) |
Être | Falloir |
Apparence | Désir |
Une famille de solutions intéressante dans le cas du vrai est fournie par Wright et la notion de super-assertabilité, par Putnam, ou par les pragmatistes. Il s’agit d’associer le vrai non pas avec la justification effective, mais avec une forme de justification idéal: pour Wright, une proposition est vrai si elle jouit d’une certaine stabilité, au sens où de nouvelles informations ne peuvent affecter sa justification, et pour Putnam, une proposition vraie est une proposition qui serait justifiée dans des conditions épistémiques idéales. On conserve alors l’idée que l’on peut être justifié à croire le faux, ou ne disposer d’aucune justification pour le vrai, pour peu que les conditions ne soient pas idéales, mais il n’y a plus de fossé infranchissable entre le vrai et nos capacité à l’atteindre : le vrai est seulement l’horizon, l’idéal régulateur de nos pratiques épistémiques. Cette solution est anti-réaliste (ou peut être qualifiée de réalisme interne).
J’ignore si cela a déjà été proposé en philosophie morale, mais il me semble que cette solution est aussi bien transposable à la méta-éthique. Il s’agirait d’associer le bien avec une motivation idéale. Une action serait bonne si elle serait motivante dans des conditions morales idéales. On peut ainsi rendre compte d’une différence entre notre motivation effective et le bien quand les conditions ne sont pas idéales, sans pour autant déconnecter les deux.
Toute la difficulté est de savoir en quoi consistent de telles conditions idéales dans le cas de la morale. Dans le cas épistémique, l’idée peut être que l’on dispose de toute l’information pertinente et de capacités inférentielles infinies, par exemple. La situation est idéale car aucune nouvelle information ne peut ni défaire ni renforcer notre croyance (nous atteignons une forme de stabilité). Une situation non optimale est une situation où l’information est soit biaisée (c’est à dire incomplète, sauf à employer la transcendance du réaliste), soit absente. Dans le cas moral, il s’agirait de disposer de toutes les raisons pertinentes. Il s’agirait d’une forme de réalisme éthique interne.
Commentaires