Monisme neutre et physique relationnelle

La physicalisme
est l'idée que le mental se réduit (survient, est déterminé par...) le physique (le physique est primitif).
L'idéalisme
est l'idée que le physique se réduit au mental (le mental est primitif).
Le dualisme
est l'idée que ni le mental ni le physique ne se réduisent l'un à l'autre (le mental et le physique sont tous deux primitifs).
Le monisme neutre
est l'idée que le mental et le physique se réduisent tous deux à une substance neutre (ni le mental ni le physique ne sont primitifs).

J'ai expliqué dans un article récent que pour moi la controverse sur le physicalisme est une querelle de langage. Qu'appelle-t-on physique ? Si on en a une définition assez large, le physicalisme est trivialement vrai. Si on en a une plus positive, il est faux, mais de toute façon le contenu de la physique n'est peut-être pas physique.

Par querelle de langage, j'entends une querelle qui peut être réglée par un choix conventionnel : mettons nous d'accord sur une définition de physique. Enfin, les choix sémantiques ne sont jamais de purs conventions arbitraires, et je pense qu'il existe une bonne façon de régler la querelle qui est de donner à "physique" une définition plutôt restrictive, quit à se mettre en porte-à-faux avec la physique contemporaine.

Cette définition devrait comporter des choses comme : un aspect méréologique / réductionniste (la possibilité d'agencements structuraux de parties en un tout qui n'est rien de plus que l'agencement de ces parties) et surtout un aspect objectif ou intersubjectif : les propriétés physiques sont robustes aux variations de point de vue. On pourrait vouloir y ajouter un aspect causal et une référence à l'espace-temps mais on risque de se prononcer sur des aspects métaphysiques qui ne vont pas de soi (je pencherai personnellement pour une réduction de l'espace-temps à la structure causale du physique, donc définir le physique comme quelque chose qui a un pouvoir causal, sans faire référence à l'espace-temps, mais tout le monde ne serait pas d'accord) et donc je pense qu'il faut rester neutre à ce sujet.

Le choix qui me semble judicieux est donc : adopter une définition a priori, assez stricte du physique, de laquelle on peut déduire que le physicalisme est faux par un argument à la Chalmers, mais aussi, plus directement, à partir de la physique puisque les entités de la physique ne sont (paradoxalement) pas physiques en ce sens.

Il peut paraître étrange d'opter pour une définition du physique que ne respectent même pas forcément les entités de la physique fondamentale. Pour moi ça ne pose pas de problème, parce que la physique ne respecte pas cette définition que dans la mesure où elle pose des problèmes d'interprétations. Chaque fois qu'on tente d'interpréter la physique quantique de manière réaliste, en la complétant de variables cachées ou de dynamiques de projections, on vise à restaurer plus ou moins ces aspects, en particulier l'objectivité. Ceci montre donc que ces aspects sont important, et ça justifie de les prendre en compte dans notre définition de ce qui est physique.

Une autre raison pour laquelle ce n'est pas selon moi un problème est que ce n'est pas parce que les entités de la physique fondamentale ne sont pas physiques en ce sens que rien n'est physique. On peut dire que "l'image manifeste du monde" est supportée par des choses physiques : objectives, structurées méréologiquement. C'est même ce qu'on entend par physique au sens courant. Or d'un point de vue réaliste, une théorie physique doit pouvoir faire le lien avec l'image manifeste du monde, expliquer comment celle-ci émerge de l'ontologie que cette théorie nous propose, et donc même si on considère que les entités de la physique ne sont pas physiques en ce sens, on doit accepter que quelque chose de physique en résulte (au moins approximativement).

Et c'est ici qu'apparaît le point le plus intéressant de cette option purement sémantique, qui est qu'elle ouvre la porte à ce qui serait un monisme neutre, à savoir l'idée que ce qui est physique émerge en fait d'un substrat neutre, qui est celui décrit par la physique.

Bien sûr ce choix sémantique ne force rien. Si l'on fait une petite cartographie des options, on arrive à ceci :

  • Soit on interprète la physique quantique de manière réaliste (on complète la mécanique quantique) et le physique est primitif.
    • Si on pense que le mental est aussi primitif, on est dualiste (D).
    • Sinon on est physicaliste (P).
  • Soit on interprète la physique quantique de manière non réaliste. Le physique n'est pas primitif mais émerge à la limite quantique / classique.
    • soit la physique quantique décrit un contenu mental. On est idéaliste (I).
    • soit la physique quantique décrit un contenu ni mental, ni physique, mais neutre (duquel émerge au moins le physique).
      • soit le mental se réduit au physique. On a toujours une forme de physicaliste car le physique est premier par rapport au mental (même si le physique n'est pas "vraiment" primitif, mais ça reste exotique) (P*)
      • soit le mental est primitif. On a toujours une forme de dualisme, même si le physique n'est pas "vraiment" primitif (D*).
      • soit le mental se réduit à ce substrat neutre. On adopte un monisme neutre (N).

Remarque : les options D* et P* sont un peu "batarde" dans la mesure où on a un substrat non physique, mais qui ne fait rien d'autre que fonder le physique. Disons que dans ces cas là mon choix sémantique s'avérerait peu judicieux, et qu'en fin de compte il serait peut-être préférable de qualifier de "physique" le contenu de la physique, même si celui-ci ne répond pas tout à fait à notre définition a priori.

On voit au passage que la question du réalisme scientifique (la science décrit-elle ce qui est indépendant de l'esprit ?) rejoint celle du rapport physique / mental, dont elle n'est que l'autre face en un sens. Ce qui se dégage, ce sont des "packages métaphysiques" cohérents qui combinent une interprétation du contenu de la physique contemporaine et une position en philosophie de l'esprit.

Afin de savoir où exactement situer ces packages il faut se mettre d'accord sur une définition de "mental". Je propose de parler de mental à propos de ce qui est relatif à un sujet cognitif (non robuste suivant les changements de point de vue). Les interprétations réalistes peuvent soutenir à priori (D) ou (P). Je classerai alors les interprétations type bayesianisme quantique en (I), puisque la physique porte selon eux sur des informations relatives à des agents. Je classerai les interprétations relationnelles en (N), dans la mesure où la physique décrit la relation entre un observateur et un système observé, mais sans que "observateur" face nécessairement référence à un sujet cognitif, puisque ce peut être n'importe quel système physique.

Pour ma part le "package" que je défend, c'est une physique relationnelle et un monisme neutre. Selon la physique relationnelle il n'existe aucun point de vue de nulle-part (un état physique est relatif à une perspective). Le contenu de la physique est donc bien neutre, mais des états objectifs robustes émergent notamment si on prend en compte la décohérence. De plus si les sujets cognitifs sont eux-même émergent (ce qui nécessite une mémoire, etc) on a alors également une émergence du mental, pour peu qu'un contenu macroscopique puisse être relatif à un système observateur macroscopique (ce qui est controversé).

Cette vision des choses est intéressante car elle permet de rendre compte de la causalité mental - physique et physique -mental : c'est l'intrication qui est responsable de la seconde, la décohérence de la première. On résout ainsi le dilemme de la causalité mentale.

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