La conscience n'est pas un phénomène physique (2)

Ce billet est un approfondissement d'un autre billet récent.

Si la conscience n'est pas un phénomène physique, c'est en fait parce qu'elle n'est pas un phénomène du tout.

Un phénomène est quelque chose qui se présente à un sujet conscient. Or la conscience d'un autre ne m’apparaît jamais comme telle. Si je sais (ou si je crois) que l'autre est conscient, c'est, comme le fait remarquer Searle, parce que je transpose sur l'autre ma propre conscience. C'est parce que l'autre me ressemble et que je le conçoit comme un autre moi. C'est donc d'une référence à ma propre conscience qui s'agit, et seule ma propre conscience m’apparaît -- ou plutôt elle est le prérequis de toute apparition.

L'autre est analysable, du point de vue des phénomènes, comme rien de plus qu'un ensemble de comportements organisés. A ce titre, la conscience n'est pas un phénomène, mais plutôt une explication des phénomènes : je peux invoquer la conscience d'une personne pour expliquer son comportement. Cependant aucune conscience "à la première personne" n'est jamais nécessaire pour théoriser un ensemble de comportements (comme le montre l'argument des Zombies de Chalmers).

C'est ce qui permet à Dennett de diluer complètement le problème de la conscience, d'affirmer qu'elle n'existe pas ou qu'elle est une forme d'illusion, un terme explicatif utile. Penser ainsi, c'est occulter délibérément sa propre conscience, c'est oublier le cadre dans lequel s'inscrit toute représentation. Denett a raison tant qu'il se place sur le plan des phénomènes : il n'existe pas à proprement parler de phénomène de conscience. Cependant le monde n'est pas un ensemble de phénomènes sans sujets.

On peut donc, suivant Dennett, concevoir une "conscience phénomène", une conscience "à la troisième personne" qui n'est qu'un mot pratique pour désigner toute un ensemble de choses (le fait d'avoir un comportement cohérent, de réagir avec adéquation à son environnement), mais n'a pas d'existence en tant que tel. Seulement cette conscience n'est pas ma conscience, celle dont j'ai l'expérience.

Je peux être amené à identifier les deux consciences, la "conscience phénomène" de l'autre et ma "conscience vécue", en observant que ce que je désigne comme "conscience" chez l'autre, ce comportement organisé qu'il a lors de l'éveil, correspond précisément à ce que j'appelle "conscience" chez moi, cette expérience qualitative qui me permet, justement, d'organiser mon comportement. Mais l'aspect qualitatif ne peut être introduit qu'en faisant référence à ma propre expérience qualitative, et cette référence n'est jamais réductible à un phénomène à la troisième personne, il ne s'agit pas de quelque chose d'objectif (puisque dans ce cadre, la représentation scientifique apparaît comme un sous-ensemble de ma représentation du monde, elle même inclue dans mon expérience qualitative).


Autrement dit, on ne peut expliquer de phénomène "à la première personne" sans faire référence à sa propre expérience "à la première personne", s'éloignant ainsi de l'explication scientifique à proprement parler. La conscience ne peut être expliquée scientifiquement.

Puisque c'est l'aspect privé de la cognition qui est en cause, l'horizon de l'explication scientifique pourrait être de délimiter, dans la description physique, les espaces à même de représenter quelque chose de "privé" -- sans oublier que toute description est la représentation "de quelqu'un". Dans ce cadre,  on peut concevoir la science sous sa forme ultime comme la théorie des relations publiques entre expériences privées... ce qui s'apparente à une forme de réalisme structural. Nous y reviendrons très prochainement.




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